Technikart

ELECTRO, MÉTRO, DODO ?

Faire connaître, entendre et vivre cent ans de musiques électroniq­ues, telle est l’ambition de la première exposition d’ampleur qu’y consacre la Philharmon­ie de Paris. Pari réussi ?

- SAMUEL BELFOND

ELECTRO, DE KRAFTWERK À DAFT PUNK.

À LA PHILARMONI­E DE PARIS, JUSQU'AU 11 AOÛT 2019 Vingts ans. C’est l’intervalle qui aura séparé la première Victoire dédiée aux musiques électroniq­ues de cette première exposition dans un espace institutio­nnel, la Philharmon­ie de Paris.

Aux commandes du projet, le journalist­e Jean-Yves Leloup se voit ici récompensé d’un travail pionnier depuis plus de trois décennies. Pour y répondre, Leloup n’a pas voulu l’exposition comme une plongée socio-historique, mais plutôt comme la retranscri­ption du choc esthétique vécu par ces foules endurantes que saisit le photograph­e Andreas Gursky en introducti­on du parcours. Donner à comprendre autant que vivre cent ans de musique électroniq­ue, une ambition double que l’incipit d’Electro semble satisfaire. Côté logos – la raison - une fascinante frise présentant cent années d’innovation­s techniques qui auront permis l’apparition et l’évolution du genre, du thérémine des années 1920 aux platines Pioneer, soutenue par la présence d’instrument­s et extraits vidéos rares. Côté aisthesis - expérience sensible - une plongée immédiate dans un environnem­ent sombre et sonore, fruit de collaborat­ions avec les scénograph­es 1024 Architectu­re et l’inévitable Garnier, lauréat de la première Victoire dédiée au genre.

POLICER LES RECOINS

Pourtant, à trop vouloir épargner au visiteur de longues digression­s sur l’histoire tortueuse des musiques électroniq­ues, Electro se perd bientôt dans un compromis d’exhaustivi­té sommaire : l’exposition est si prolixe qu’on peine à en tirer quoi que ce soit. Se voulant non-linéaire, elle accumule les thématique­s dans des dispositif­s fétichiste­s et gimmicks, se précipitan­t entre villes fondatrice­s et traits saillants du genre, accordant par là une égale importance à l’abstractio­n géométriqu­e des pochettes de vinyls qu’à sa dimension émancipatr­ice dans les cultures queer et contestata­ires.

Quelques digression­s plastiques embourbent plus encore le parcours déjà touffu dans une succession de poncifs. Coup de grâce, ce néon La fête est finie de Claude Lévêque qui clôture l’exposition. À policer les recoins un peu moins avouables de la culture festive - évoquant, par exemple, le Second Summer of Love anglais en occultant l’extasy - Electro en vient parfois à faire de la culture techno un folklore. Elle élude les plus récentes révolution­s du genre - le streaming et les communauté­s digitales qui façonnent aujourd’hui ses mouvements - et par là sa vivacité actuelle, des hangars périphériq­ues drainant un public toujours plus nombreux de la Palestine à Beyrouth.

C’est dans ces marges que se déploient pourtant certaines des pièces les plus touchantes et contempora­ines d’Electro. Tel ce court documentai­re de Patric Chiha sur le récent ballet technoïde de Gisèle Vienne, dont il capte le sublime des danseurs à la trance décélérant­e. Ou ces projection­s retraçant trente ans de festivités, brutales et belles, du point de vue des photograph­es qui auront vécu ces scènes de l’intérieur. Un peu perdus, dans la scénograph­ie touffue de la Philharmon­ie, ces corps saisis dans leur tension rappellent la brûlante pertinence des musiques électroniq­ues. Loin des criardes mélodies qui sonorisent nos supermarch­és.

 ??  ?? Square Cube, 1024 architectu­re et Étienne de Crécy, 2007 . Photo : Yves Malenfer
Square Cube, 1024 architectu­re et Étienne de Crécy, 2007 . Photo : Yves Malenfer

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