ELECTRO, MÉTRO, DODO ?
Faire connaître, entendre et vivre cent ans de musiques électroniques, telle est l’ambition de la première exposition d’ampleur qu’y consacre la Philharmonie de Paris. Pari réussi ?
ELECTRO, DE KRAFTWERK À DAFT PUNK.
À LA PHILARMONIE DE PARIS, JUSQU'AU 11 AOÛT 2019 Vingts ans. C’est l’intervalle qui aura séparé la première Victoire dédiée aux musiques électroniques de cette première exposition dans un espace institutionnel, la Philharmonie de Paris.
Aux commandes du projet, le journaliste Jean-Yves Leloup se voit ici récompensé d’un travail pionnier depuis plus de trois décennies. Pour y répondre, Leloup n’a pas voulu l’exposition comme une plongée socio-historique, mais plutôt comme la retranscription du choc esthétique vécu par ces foules endurantes que saisit le photographe Andreas Gursky en introduction du parcours. Donner à comprendre autant que vivre cent ans de musique électronique, une ambition double que l’incipit d’Electro semble satisfaire. Côté logos – la raison - une fascinante frise présentant cent années d’innovations techniques qui auront permis l’apparition et l’évolution du genre, du thérémine des années 1920 aux platines Pioneer, soutenue par la présence d’instruments et extraits vidéos rares. Côté aisthesis - expérience sensible - une plongée immédiate dans un environnement sombre et sonore, fruit de collaborations avec les scénographes 1024 Architecture et l’inévitable Garnier, lauréat de la première Victoire dédiée au genre.
POLICER LES RECOINS
Pourtant, à trop vouloir épargner au visiteur de longues digressions sur l’histoire tortueuse des musiques électroniques, Electro se perd bientôt dans un compromis d’exhaustivité sommaire : l’exposition est si prolixe qu’on peine à en tirer quoi que ce soit. Se voulant non-linéaire, elle accumule les thématiques dans des dispositifs fétichistes et gimmicks, se précipitant entre villes fondatrices et traits saillants du genre, accordant par là une égale importance à l’abstraction géométrique des pochettes de vinyls qu’à sa dimension émancipatrice dans les cultures queer et contestataires.
Quelques digressions plastiques embourbent plus encore le parcours déjà touffu dans une succession de poncifs. Coup de grâce, ce néon La fête est finie de Claude Lévêque qui clôture l’exposition. À policer les recoins un peu moins avouables de la culture festive - évoquant, par exemple, le Second Summer of Love anglais en occultant l’extasy - Electro en vient parfois à faire de la culture techno un folklore. Elle élude les plus récentes révolutions du genre - le streaming et les communautés digitales qui façonnent aujourd’hui ses mouvements - et par là sa vivacité actuelle, des hangars périphériques drainant un public toujours plus nombreux de la Palestine à Beyrouth.
C’est dans ces marges que se déploient pourtant certaines des pièces les plus touchantes et contemporaines d’Electro. Tel ce court documentaire de Patric Chiha sur le récent ballet technoïde de Gisèle Vienne, dont il capte le sublime des danseurs à la trance décélérante. Ou ces projections retraçant trente ans de festivités, brutales et belles, du point de vue des photographes qui auront vécu ces scènes de l’intérieur. Un peu perdus, dans la scénographie touffue de la Philharmonie, ces corps saisis dans leur tension rappellent la brûlante pertinence des musiques électroniques. Loin des criardes mélodies qui sonorisent nos supermarchés.