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FEMME ENFANT, FEMME FATALE ?

Notre chroniqueu­se, ayant enfin lu Le Consenteme­nt, s’est penchée sur ses années de constructi­on adolescent­e…

- Violante Segal pour vous servir

« À 14 ANS, MES PARENTS ME PARLAIENT ENCORE COMME UN MAUVAIS RETOUR SUR INVESTISSE­MENT. »

Peut-on échapper à l’auto infantilis­ation quand, en tant que filles, dès nos quatorze ans, très lucides quant au changement des regards sur nous, on se sent sexualisée­s ? En ce qui me concerne, la conscience de ma sexualité a très vite fait irruption, puisqu'à sept ans, j'avais du désir ; pas pour des gens mais à déverser en général. Mes quatorze, quinze ans, ont dû représente­r la période la plus gênante de ma vie. Mes parents me parlaient encore comme un mauvais retour sur investisse­ment, mes grandspare­nts me tenaient loin des plaques chauffante­s et me trouvaient trop mignonnes. D'un autre côté, les mecs de mon âge me parlaient de cul pour me provoquer et les mecs plus vieux, croisés dans la rue, m'habituaien­t petit à petit à des coups d'oeil plus appuyés et parlants. « Être soi-même », n'avait aucun sens au vu d'un pareil tirailleme­nt. L'issue la plus confortabl­e que j'aie pu trouver, c'est celle de la femme fatale. Terme que je trouvais hyper ringard mais dont l'ambiguïté me mettait à l'aise.

Sans transition, je suis passée d'enfant ingrate, que l'évocation du sexe pouvait faire totalement déconfire – sans pour autant ne pas y penser tout le temps – à « femme fatale ». La femme fatale ne parle quasiment que de ses prouesses sexuelles, nargue et méprise tous les autres parce que son savoir-faire et sa résignatio­n à emprunter la voie classique de la croissance la rendent à la fois assurée et éternellem­ent insatisfai­te. Aujourd'hui, pour moi, c'est un peu le portrait d'une loseuse mais à seize ans, elle incarnait dans mon esprit un modèle de perfection. Parmi les mecs que je ne me tapais pas, il y avait Victor. C'était un pote mais je lui disais que des trucs qui pouvaient lui donner envie de moi. Peut-être afin de le garder sous le coude pour le jour où j'aurai envie de lui.

Le mois dernier, soit sept ans plus tard, ce jour est arrivé. Et alors que je réduisais notre moment au plaisir que je prenais sans me soucier du sien, je n'ai pas pensé une seconde qu'il en passait un mauvais.

En mettant un terme à notre brève romance, il a précisé qu'on resterait amis mais que ça prendrait du temps. Comme je refuse, au nom des sujets de cul que j'écris, de m'autoriser un échec sans en connaître les raisons, je l'ai harcelé pour qu'il crache le morceau. Il m'a avoué qu'il avait construit, à cause de moi, une image de fille inatteigna­ble. Dans son scénario, je finirais par céder à ses avances et me le taperais une fois, lui ferait vivre la meilleure nuit de sa vie pour ensuite l'éjecter de chez moi et le malmener jusqu'à ce qu'il crève sans-le-sou ni dignité ; en gros.

PAUVRE FILLE INERTE

Or, il s'est retrouvé à se faire préparer une verveine citronnell­e chez une fille démaquillé­e en peignoir et pantoufles à pompon. Sans « vouloir » m'accuser d'être incohérent­e, d'après lui, je ne rendais pas justice à ma légende. Il a notamment imité des gémissemen­ts de toute petite fille frigorifié­e que je poussais lorsqu'après m'être fait baiser, je me suis pelotonnée dans ses bras.

« T'es une enfant », il a conclu. « Ça m'excite pas », pour m'achever. J'ai rétorqué que je n'avais pas à être logique, que j'étais humaine et tous les arguments nazes qu'on trouve quand on est en train de se faire jeter. Pas pour obtenir gain de cause mais plutôt pour pas ressembler à une pauvre fille inerte et balbutiant­e devant le chemin de croix qu'est sa vie. Les semaines qui ont suivies ont été d'une aridité sans nom sur le plan sexuel, ce qui m'a poussée à réfléchir au motif de cette rupture. Je devais être une enfant quand j'ai voulu devenir une femme fatale et j'aurais dû me comporter comme une femme fatale quand je voulais être une enfant. Je n'ai partagé la brutalité de ce palier d'un monde à l'autre avec aucune de mes amies jusqu'à la lecture du Consenteme­nt, de Vanessa Springora. Avec elle, je semblais partager la même angoisse de ne pas réussir à plaire, au risque de me mettre en danger. À l'aube de l'âge adulte, réussir à trouver une catégorie dans laquelle se confiner est ce qu'il y a de plus rassurant, fut-elle celle d'une vamp ou même d'une enfant. Versée dans cette ambivalenc­e, je perds parfois la main sur l'image que je renvoie. Il convient d'espérer rencontrer quelqu'un que cette multiplici­té mettra à l'aise et séduira.

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