Technikart

ODES À OLIVIER

Et si le plus littéraire des journalist­es passés par Technikart était en réalité… un poète ? Williams pose la question qui fâche.

- PATRICK WILLIAMS

Olivier Malnuit était un poète. Un poète d'un genre un peu particulie­r sans doute, mais je ne vois pas d'autre mot pour le décrire. Je garderai longtemps en mémoire certaines phrases-slogans qu'il a écrites, comme : « Pendant la fin du monde, je file au cabinet ! » (un alexandrin parfait, avec ses allitérati­ons en « f »), titre de l'une de ses chroniques. Il y avait aussi « Titi était-il un agent du Mossad ? », dont le simple souvenir suffit à me mettre en joie. Et que dire des articles délirants et merveilleu­sement écrits qu'il était capable de fournir sur la « chopine ballon de foot » et autres « objets cultes du mois » ?

Au milieu des années 90, un soir de bouclage, un peu ivres, à la rédaction de Technikart, rue de la Roquette, nous avions improvisé tous les deux une petite chanson. Sur le mur, au-dessus du scan, était collée une feuille où il était écrit : « Scan Fragile ! Faire attention ! C'est du matériel loué ! » (un de ces messages étranges qui faisaient le charme de Technikart). Un peu ivres, nous avions commencé à chanter sur l'air de « Femme Libérée », de Cookie Dingler : « Ne le laisse pas tomber/ Ce scan est fragile/C'est du matériel loué/Joue pas au débile ». Un refrain que nous avions entonné pendant des heures dans les bars du quartier. Evidemment, c'était un peu de nous que nous parlions, c'est nous qui étions fragiles, mais nous ne le savions pas ou ne voulions pas le savoir… D'une certaine façon, nous sommes tous du matériel loué qu'il faut rendre un jour au Cosmos...

ESPRIT D’ENFANCE

Olivier n'était pas qu'un amuseur, qui prenait les choses à la légère. Son rôle était d'utilité publique. Il faisait souffler un vent de folie et de dérision dans le milieu des médias, souvent extrêmemen­t convention­nel. En effet, il règne fréquemmen­t dans la profession de journalist­e un terrible esprit de sérieux qui transforme chaque détenteur de carte de presse en un potentiel donneur de leçons, moralisate­ur et sentencieu­x, investi de la mission sacrée « d'informer » (la bonne blague). C'était déjà vrai il y a vingt ans, ça l'est encore plus aujourd'hui, où le moindre pigiste se rêve en lanceur d'alerte sur le front social, écologique ou du genre. À tous ces gens qui jouent aux adultes (beurk !), Olivier opposait un délicieux esprit d'enfance, comme l'attestait son visage éternellem­ent rieur, celui de quelqu'un « qui a fait une bonne blague ». Vous trouvez que la situation est grave, qu'il y a un inquiétant et endémique problème du chômage ? Et si vous repreniez un peu des « meufs à fromage » ?

Nul cynisme là-dessous, mais la conscience de l'absurdité du monde, une attention extrême aux clichés et expression­s toutes faites qui saturent le discours public et un plaisir sans fin à faire s'entrechoqu­er les mots. « Titi était-il un agent du Mossad ? » Être un poète n'est pas de tout repos. On n'a pas toujours les pieds sur terre et cela explique sans doute les difficulté­s qu'a eues Olivier avec sa banque ou ses différents proprios… À l'époque de Technikart, nous n'admirions que les journalist­es « gonzo », généraleme­nt anglo-saxons, qui traitaient l'info de façon décalée, subjective, en se mettant en danger. Mais nous ne nous rendions pas compte que nous avions un parfait spécimen gonzo en la personne d'Olivier. Le « Grand Saigneur » qu'il était se comportait comme un boucher des syllabes, un découpeur de syntagmes. Son étal était son clavier d'ordi, qu'il martelait comme on désosse une carcasse.

Quand je lui disais qu'il était un poète, il me regardait avec des yeux ronds avant de s'esclaffer. Comme si j'avais dit un gros mot. « Encore en train de dire une connerie, Williams ! » Sa pudeur lui interdisai­t de prendre en considérat­ion mon bla-bla pseudo-intellectu­el et un brin grandiloqu­ent. Et puis il y avait des choses plus urgentes à faire. Sans doute était-il déjà en train de peaufiner sa prochaine « baseline » : « Pendant la fin du monde, je file aux cabinets ! ». Tu as filé, Olivier, la fin du monde approche, mais c'était cool de chanter Cookie Dingler avec toi.

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O.M. prend la pose (Coll. Chrystelle Brunet).
PORTRAIT DU JEUNE HOMME EN POÈTE O.M. prend la pose (Coll. Chrystelle Brunet).
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O.M. EN COUVE en 2007 (Jeremy Pilain).

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