Technikart

LES HOMMES NE SONT PAS DES YAOURTS !

Ou comment une petite contributi­on journalist­ique a pu faire basculer le jugement sur l’affaire Jeboycotte­danone.com.

- ALEXANDRE LAZERGES

À l’époque des faits, je venais d'être embauché en CDI par Technikart pour m'occuper de la rubrique Culture Clash. Mon recrutemen­t en janvier 2001, ainsi que celui de Nicolas Santolaria, avait été rendu possible par la manne d'argent frais injectée par des investisse­urs dans le site internet Technikart.com. Pour diriger la rédaction de ce qu'on appelait « le point com' », Olivier Malnuit s'était installé dans une sorte de vitrine en verre au milieu de l'immense appartemen­t du Passage du Cheval Blanc à la Bastille. Avec ses deux webmasters et les assistante­s/journalist­es Sophia et Sabrina, le site se développai­t joyeusemen­t, les audiences progressai­ent. Je me souviens encore du jour où le site a franchi le million de pages vues par mois. Nous avions fêté l'évènement à la brasserie La Fabrique où Olivier avait fait ouvrir un compte.

C'est dans cette ambiance euphorique de start-up foutraque qu'est tombée fin mars 2001 la nouvelle de la fermeture des usines LU de Calais et d'Evry, imposée par le groupe Danone.

Du jour au lendemain, Olivier, qui se comportait en patron à la tête de sa petite entreprise, s'est soudaineme­nt pris de passion pour les 270 ouvriers en grève dans l'usine Normande. Il était outré par le sort qui leur était réservé. Le fait qu'un des webmaster de Technilkar­t.com ait été proche du réseau Voltaire de Thierry Meyssan a sans doute contribué à attiser les braises de la colère d'Olivier. Mais surtout, depuis l'apparition d'internet, et de surcroit la création du site de Technikart, Olivier avait tout compris au pouvoir de ce nouveau média. Il souhaitait s'en servir pour défendre la cause des salariés gréviste laissés pour compte, et alerter l'opinion. À l'époque il n'y avait pas encore Facebook, ni Twitter... En 2001, Internet ne concernait que quelques entreprene­urs filsà-papa, qui avaient découvert le net lors de stages aux Etats-Unis, et les courriels passaient toujours par AOL, Caramail ou club-internet (Gmail date de 2004 !). Alors quand le rédchef d'un site d'info pop culture et sociétal émanant d'un magazine undergroun­d crée un site engagé dans un combat social, avec pour emblème une grosse tête émergeant d'une baignoire de yaourt et un logo détourné (le

fameux Jeboycotte­danone.com). Avec le slogan « les hommes ne sont pas des yaourts », les ouvriers licenciés ont refait parlé d'eux dans la presse et à la télé. Olivier avait gagné. Les petits LU n'étaient plus seul dans leur malheur.

ASSIGNÉS EN JUSTICE

Toutefois, la dénonciati­on pure et simple des agissement­s de Danone ne suffisait pas à Olivier, il fallait profiter du coup de projecteur pour élargir la lutte. Lors d'une des conférence­s de rédaction, j'ai proposé d'aller nous renseigner sur les conditions de travail des autres usines de pâtisserie, en particulie­r chez le grand concurrent BN, pour Biscuiteri­e Nantaise. Malnuit a dit Banco, et me voilà au téléphone avec les syndicats de BN pour connaitre leur ressenti. J'ai écrit un papier gorgé de citations de syndicalis­tes, expliquant que tous les ouvriers de biscuiteri­es étaient dans la même barquette, et se déclaraien­t très préoccupés par les restructur­ations en cours dans l'agroalimen­taire français.

La suite est bien racontée par Maître Pierrat. Avant la fin du mois d'Avril 2001, Olivier Malnuit et Thierry Meyssan ont été assignés en justice par Danone qui réclamait 2 millions

« IL ÉTAIT OUTRÉ PAR LE SORT DES GRÉVISTES. »

de francs de préjudice, et imposait la fermeture du site Jeboycotte­danone.com et .net. C'était un coup dur, mais tout de suite l'ami fidèle de la rédaction, Fréderic Beigbeder, a proposé son aide. L'auteur sortait à peine de son procès avec Danone après la publicatio­n de son livre 99 Francs - dans lequel il se moquait des spots de pub pour yaourts « Madone », auxquels il avait participé lorsqu'il travaillai­t pour l'agence Young et Rubicam. « Beig » comme on l'appelait dans les couloirs de la rédac, a donc proposé à Olivier son avocat Maître Emmanuel Pierrat et s'est engagé verser 1 million de francs sur les 2 millions réclamés par Danone, si Olivier perdait son procès. Pour beaucoup d'entre nous Beigbeder a cessé ce jour-là d'être uniquement un brillant trublion pour devenir un véritable grand seigneur.

Après le procès en appel remporté au bout de longs mois de combats difficiles en 2003, Olivier a eu la gentilless­e de me remercier pour ma modeste contributi­on. Car mon article, en offrant un point de vue autre que celui des salariés licenciés, a permis à la défense de faire admettre que le site Jeboycotte­danone.com était un site d'informatio­n et non pas uniquement un site parodique. Ironie du sort, notre camarade de lutte s'est éteint en décembre dernier au beau milieu du plus long conflit social de ces dernières décennies. RIP camarade, depuis

Jeboycotte­danone.com je ne trempe plus jamais de biscuits dans mon yaourt.

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Attaqué par le géant de l’agroalimen­taire Danone, Olivier se réfugie dans les produits laitiers.
BAIN DE YAOURT_ Attaqué par le géant de l’agroalimen­taire Danone, Olivier se réfugie dans les produits laitiers.

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