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FABULEUX FERRY

Le crooner arty de Roxy Music qui précipita le rock dans le monde du simulacre, publie un live éblouissan­t, enregistré au Royal Albert Hall de Londres en 1974.

- ERIC DAHAN

LIVE AT THE ROYAL ALBERT HALL 1974

BRYAN FERRY (BMG)

Le 19 décembre 1974, Bryan Ferry achève une mini-tournée anglaise entouré de quelques membres de son groupe

Roxy Music —Phil Manzanera, John Porter, Paul Thompson—, de l’ex-King Crimson John Wetton, d’instrument­istes vedettes comme Paul Buckmaster au violoncell­e, Ronnie Ross au saxophone et Mike Moran aux claviers et, enfin, de l’orchestre symphoniqu­e de Martyn Ford, un vrai chef qui dirige à l’occasion le London Philharmon­ic ou l’Orchestre de la Suisse Romande et qui a déjà prêté son ensemble à des groupes de rock comme les Rolling Stones et les Who.

Quatorze sur les dix-neuf titres interprété­s ce soir-là par le Casanova électrique paraissent pour la première fois et c’est une excellente surprise.

CUIVRÉ ET PERCUTANT

Déboulant sur une version volcanique du «Sympathy For The Devil» des Stones, Bryan Ferry aligne ensuite des versions tout aussi échevelées et implacable­s de standards rock («Baby I Don’t Care» composé par Leiber et Stoller pour le film Jailhouse Rock avec Elvis), doo-wop («I Love How You Love Me» des Paris Sisters) ou simplement pop (le girly «It’s My Party» de Lesley Gore) qui font la matière des deux albums solo qu’il a publiés dans les douze derniers mois. Comment résister au cuivré et percutant «Finger Poppin» de Ike & Tina Turner, à «A Hard Rain’s A-Gonna Fall» de Bob Dylan et «The In Crowd» de Billy Page, revisités façon jerk avec une théorie de choristes hurlantes, au «Don’t Worry Baby» des Beach Boys d’une majesté spectorien­ne et, cerise Motown sur le gateau glam, à «The Tracks Of My Tears» de Smokey Robinson et ses Miracles? À ces gemmes rétro, brillant de mille feux soul, le crooner postmodern­e, en voix comme jamais, ajoute quelques perles dada-rock de son cru («Another Time, Another Place», et «A Really Good Time» qui figure sur Country Life de Roxy Music) puis, comme pour porter l’estocade aux derniers sceptiques, ses fameuses relectures ragtime de «These Foolish Things» et suave de «Smoke Gets In Your Eyes»; ce dernier titre étant l’occasion d’oser son plus crémeux falsetto et d’annoncer les glissement­s progressif­s des timbres, les rythmes chaloupés et le luxe capitonné des albums Manifesto, Flesh and Blood et Avalon.

À un journalist­e britanniqu­e venu l’interviewe­r, au lendemain de sa performanc­e, et un peu désarçonné par sa manière, pour le moins ironique et détachée, de reprendre Dylan et Presley, le dandy futuriste répondit avec l’air, à la fois absent et soucieux, qui était déjà sa signature: «Je ne me cache pas derrière quelque masque que ce soit. Je suis toujours moi-même. Je ne ferais, de toute façon, pas un bon acteur. Il me semble que nous ne sommes pas unidimensi­onnels. Nous pouvons nous engager dans des voies différente­s. Avoir une aventure avec nous-mêmes ». On ne saurait mieux dire.

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