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MATHIEU MADENIAN, LE PARRAIN DU STAND-UP

- Entretien Laurence Rémila Photos Eddy MUHA Brière Gabrielle Hoarau-Kozo Vidéo Greg Kozo Merci Le NO.PI 3 Place de Clichy, 75008 Paris

ABDEL RAOUF DAFRI, LE CASSEUR DU CINÉ FRANÇAIS RACHIDA DATI BY BURGALAT MARIAN SALZMAN ET LE RETOUR DU CÂLIN LE MAQUILLAGE ANTI-FLICAGE ...

Les darons vous gonflent et les petits vous fatiguent ? Faites comme Mathieu Madenian dans Spectacle familial, son réjouissan­t standup sur les affres de la vie de famille : dites-leur ô combien vous les aimez, ne ratez pas une réunion... et tenez les un minimum à distance. Comme le font les membres de la cosa nostra ?

L’ancien sniper de l’actu’ aurait-il rangé son flingue ? Mathieu Madenian, 43 ans dont une dizaine à balancer de la vanne politique sur scène, nous attend au bar du No.Pi, l’élégant lounge rock de la place de Clichy. La veille, nous découvrion­s son nouveau show au Théâtre de l’Oeuvre (Paris IX). Dans Spectacle familial, ce pro de la chronique se raconte pour la première fois. Ses proches dans le Sud, son enfance dans les années 80 ou ses questionne­ments de jeune quadra installé à Paris, chaque thème est abordé avec une tendresse communicat­ive – tout en évitant la mièvrerie. Paradoxe. À une époque où le lien social se délite et où le modèle familial est de plus en plus rejeté (Madenian le rappelle sur scène : aujourd'hui, même les retraités se mettent à divorcer), les valeurs associées à la famille, elles, celles de « co-dépendance bienveilla­nte » pour parler comme les gourous du développem­ent personnel, ont le vent en poupe comme jamais… Y compris chez les comiques les plus blasés ? À bien décrypter son spectacle, oui. Les boissons arrivent, l’ex-chroniqueu­r de Drucker (et toujours-collaborat­eur de Charlie Hebdo) se soumet à notre interrogat­oire « famille, je vous haime »…

Vous êtes actuelleme­nt à l’affiche de votre troisième stand-up, Spectacle familial, dans lequel il est surtout question de famille. Et aujourd’hui, on vous retrouve en parrain mafieux pour ce shooting. L’humour parisien, c’est la cosa nostra ?

Mathieu Madenian : C'est quoi ma mafia, c'est ça votre question ? Celle de Bagnolet : on est… un. J'y suis un peu seul ! C'est l'avantage d'être un parrain solo, il n'y a personne à tuer. Sinon, c'est un peu le Comedy Club ou, dernièreme­nt, le Panam Art Café qui rassemble des jeunes humoristes qu'on aide à préparer leur propre petit spectacle.

Donc vous êtes le parrain et eux, les capos ?

Eux, ce sont les capos qui dans quelque temps vont prendre la place du parrain en étant plus marrant que lui ! (Rires.)

Ressort de votre spectacle une certaine nostalgie des années 80. Qu’y avait-il de si merveilleu­x dans le Perpignan de ces années-là ?

On était jeunes ! On ne se demandait pas ce qu'on allait faire plus tard, il y avait toujours à manger. C'est les parents qui avaient des soucis. Le seul souci qu'on avait, c'était comment on allait s'amuser. C'est incroyable ! C'est peut-être pour ça que je joue la comédie, pour continuer à m'amuser. Ma vie, c'était jouer au basket, voir des potes, draguer des filles...

À quel moment vous vous êtes dis « je vais être comique » ?

Petit, j'avais vu Albert Dupontel faire Rambo dans l'émission Carnaval de Patrick Sébastien. J'ai eu un coup de foudre pour ce type et je me suis dit : je veux faire ça comme métier. Je voyais mon père à l'époque qui rigolait sur des Louis de Funès et je me suis rendu compte du pouvoir qu'avait ce mec sur mes parents : les faire rire. À partir de là, c'est comme un muscle. Il y a très peu de talent dans ce métier, c'est juste du travail.

Ça revient souvent chez les comiques, cette histoire de faire rire le père afin de dialoguer avec lui...

Ce n'est pas anodin de monter sur scène et de se mettre « en danger ». On cherche un public. J'ai des souvenirs de repas de famille où mon père me mettait sur la table en me disant : « vas-y fais rire la famille ».

Votre père, c’est votre premier manager?

C'est le premier et ce sera le dernier ! Si je meurs avant lui, c'est lui qui organisera mon enterremen­t avec un best-of de mes sketchs. Et il fera payer ! C'est sûr qu'il fera payer… (Rires.)

Votre famille a réagi comment quand vous vous êtes lancé ?

J'ai fait de longues études pour être avocat. Lorsque j'ai tout plaqué, ça a été compliqué avec mes parents pendant plus d'un an. J'ai eu de la chance d'être engagé sur Un gars une fille, ce qui m'a permis de payer mon loyer sur Paris. Pour les Arméniens, dès qu'on voit au générique un « ian », t'as réussi. Mais j'ai surtout de la chance d'avoir des parents qui sont heureux que j'essaie d'être heureux.

Ça vous a pris quelques années avant de percer. Comment le vivaient vos parents ?

J'arrivais à boucler les fins de mois, parce que c'est un métier où tu arrives à te débrouille­r. Je faisais des saisons d'animation dans des villages de vacances l'été, le soir je jouais au chapeau… On trouvait des combines.

« J’ENTERRE DE L’ARGENT DANS MON POTAGER À BAGNOLET. »

Vos parents sont à la retraite ?

Mon père est à la retraite depuis cinq, six ans mais il continue à bosser. Il fait partie de ces gens qui voient leur vie au travers de leur boulot sinon ils s'éteignent. Et ma mère se plaint. C'est une fine équipe.

Et vous vous retrouvez à leur expliquer la réforme ?

Même pas ! On ne parle pas de ça. Moi, pour le coup, je n'aurai pas de retraite. J'ai commencé à gagner ma vie quand j'avais 35 ans... Non, j'enterre de l'argent dans mon potager à Bagnolet.

Vous nous donnez l’adresse ?

Je ne le dirai jamais… Mafia arménienne !

Vous vous retrouvez à leur expliquer des choses politiques ? Vous êtes plus engagés qu’eux ?

Non en fait, eux sont engagés, je suis engagé et ce sont des sujets qu'on essaie de ne pas croiser. C'est comme ces réunions de famille à Noël : il vaut mieux se taire.

Et pourquoi ce spectacle sur la famille à 43 ans ?

Je ne sais pas du tout. Parce qu'en plus je m'aperçois, à la fin du spectacle, que j'ai une famille normale par rapport à certaines personnes. Mais c'est peut-être aussi pour ça que je le fais, c'est pour parler avec vous et me dire « En fait mais ils sont bien, pas pire que les autres! ».

En quoi votre regard sur la famille a changé depuis vos 18 ans ?

Je ne voyais que la mienne de famille et quand t'es gosse t'es un peu un con donc les premiers boucs émissaires, ce sont tes parents. Ton père est con et ta mère est conne. Plus tu grandis, plus tu prends du recul. Tu te dis que quelque part, ils sont pas mal. Ils sont toujours ensemble, ils tiennent le coup.

Et en humour, quel est LE parrain ?

Il n'y a pas de parrain. Ça se démode tellement vite. C'est délicat d'avoir un modèle, il vaut mieux avoir des inspiratio­ns, des trajectoir­es. J'essaie d'être libre comme Dupontel, comme les mecs de Charlie avec lesquels j'ai bossé. Il n'y a rien de pire dans ce métier que quelqu'un qui vient nous voir et nous dit : lui c'est le patron. On a fait ce métier pour ne pas avoir de patron ! On est égaux, on a tous le même problème : on veut faire marrer. Des artisans qui essaient de bricoler des blagues.

Entre vous, les comiques, vous ne vous dites pas: ça c’est le top trois des mecs qui savent tenir une scène ?

Je n'ai pas ce rapport là avec les autres… Je sors, je vais au Paname et je vois des jeunes qui montent sur scène pour la première année et je n'ai pas ce côté condescend­ant. Comme je recommence souvent à zéro,

je me retrouve finalement à faire les mêmes scènes qu'eux. Ce n'est pas un métier de concours ou de compet'. Même quand je suis avec mes potes humoristes, on parle rarement d'humour.

Le plus connu c’est Thomas VDB, vous vous parlez de quoi entre vous ?

De son dealer, souvent. Des problèmes de fabricatio­n, de livraison. Parce que c'est compliqué avec les grèves. (Rires.) À la base on était deux mecs qui déconnaien­t à la caméra. On prenait un sujet, ça nous faisait marrer mais on n'était pas là à analyser le microcosme humoristiq­ue. L'humour, plus t'en parles, moins c'est marrant.

Et vous avez la tentation, quand vous entendez une bonne vanne, de la piquer ?

Tu ne piques pas. Déjà parce que ça se sait maintenant, et je crois qu'il n'y a rien plus beau que de monter sur scène et de balancer une blague que t'as préparée dans ton salon.

Comment vous vous êtes retrouvés à intégrer la famille Charlie ?

On est au mois d'août, un an et demi avant les attentats : Charb m'appelle, à l'époque je jouais au petit point virgule mon premier spectacle, et il était pote avec Kader Aoun. Il me dit : « On fait un spécial Louis de Funès, est ce que ça te dit d'écrire quelque chose sur lui?|». J'étais partant, je lisais Charlie, je lisais Charb et j'ai pris la forme de la carte postale. Pendant un an, on s'est fréquentés. On buvait des verres avec Patrick Pelloux, l'urgentiste. Il y avait déjà eu des menaces de mort, des tirs sur le mur et l'incendie des anciens locaux, il avait son garde du corps. Je me rappelle, ce soir-là il s'amusait à semer son garde du corps à vélo. Et chaque semaine j'ai envoyé mes cartes postales, on se voyait, on mangeait ensemble. Ils n'avaient pas d'argent, chez Charlie, à peine 10.000/15.000 lecteurs. Ils me payaient en restos et en bonnes bouteilles de vin.

Ils étaient comment, au travail ?

Tellement gentils… La dernière fois que j'ai vu Cabu, c'était le 20 décembre et je me rappelle lui avoir raconter une collab' avec je-ne-sais-plus-qui , il m'a répondu : « Il est gentil avec toi ? ».

C’est très chrétien comme phrase, pour des bouffeurs de curés.

C'était des mecs foncièreme­nt gentils…

Comment avez-vous vécu les 5ème anniversai­re de l’attentat de Charlie Hebdo? Le 11 janvier 2020, certains disaient : « Les Français ne sont pas dans la rue pour célébrer l’esprit Charlie ».

L'esprit Charlie, ce n'était pas forcément être Charlie. Le « je suis Charlie », c'était suivre. Je n'étais pas toujours d'accord avec eux, et c'était ça l'intérêt : des gens pas d'accord qui discutent. C'est dingue de s'apercevoir à quel point les gens passent vite à autre chose…

Vous êtes resté 4 ans dans l’émission de Drucker. Il vous sortait des phrases de grand parrain du PAF ?

Plein ! « Le plus dur, c'est durer », ce genre. À l'époque où je bossais avec lui, il avait une quotidienn­e sur Europe 1 et tous les mercredis il enregistra­it Vivement dimanche et Vivement dimanche prochain. Il avait 72 ans. Et il tenait un plateau, un micro. Il est encore là à 78 ans et il monte sur scène. Lui, c'est un vrai parrain ! (Rires).

À part ça, Michel Drucker donnait-il de vrais conseils?

On faisait ce qu'on voulait sur le plateau, chaque semaine c'était n'importe quoi. C'est pour ça que ça a marqué : ce canapé avec des caméras partout, tu vois tes retours. Si les gens rigolaient à mes blagues, il prenait parti avec moi contre la personne. Il m'avait dit, ne met pas les pieds dans le plat et on faisait exactement le contraire.

Donc vous avez 43 ans, en quoi ton regard sur la famille a changé depuis tes 18 ans ?

Déjà, je me dis que je n'en aurais peut-être jamais. Chaque année tu te dis que ça va venir… Il se peut que le modèle dans lequel j'ai grandi et que j'ai dans la tête n'est pas fait pour moi. Peut-être que je vais finir seul. Enfin, un peu plus seul que d'autres personnes. Et puis nous on est passés d'une famille patriarcal­e à une société post Me too, à la famille recomposée, famille monoparent­ale, famille homoparent­ale, PMA… Le seul point commun, ça reste la famille. Et quoi qu'il arrive, ce truc là restera. Ca fait partie des bases de la société. Et cette famille évolue. C'est valable pour les Gilets Jaunes : c'est une sorte de famille, des gens qui se retrouvent autour d'une

« DRUCKER, C’EST UN VRAI PARRAIN ! »

même cause. Charlie aussi c'est une famille.

On vit dans une société de plus en plus dure, froide, la famille reste une valeur refuge ?

C'est exactement ça. Dès que j'ai du temps, maintenant, je redescends chez moi.

Vous n’avez pas encore d’enfants, vous faites tout pour ?

Je m'entraîne! Faire un enfant, il faut déjà être bien avec quelqu'un, trouver la mère. Quand t'as 30 ans, tu t'en fous. Mais quand t'as 40 ans, que tu vois les couples autours de toi qui se déchirent où l'enfant devient l'otage, tiraillé entre deux personnes qui avant s'aimaient... J'ai de plus en plus de pression. Peut-être qu'il faut davantage chercher la bonne mère ou le bon père plutôt que deux personnes qui s'aiment…

Je regarde autour de moi, je vois de plus en plus de couples où l'enfant devient un enjeu. C'est rare les parents qui gèrent ça intelligem­ment.

Vous êtes cinq fois parrain. Vous connaissez bien les parents de vos filleuls/filleules ?

Ils ne réalisent pas que s'ils meurent, c'est moi qui hérite des gosses. Chaque fois que je le dis, il y a une espèce de doute dans leur regard (Rires.). Non, je les connais bien ouais. Ce sont de bons parents, des gens qui se sont sacrifiés pour leurs enfants.

Existe-t-il un humour arménien ?

C'est comme l'humour juif. Il y en a qui disent que c'est lié à l'histoire d'un peuple qui a vécu un génocide et qui arrive à prendre du recul. Je pense qu'à la base si t'es marrant, tu peux mettre ce que tu veux derrière le mot humour.

Quel est l’impact réel des grèves sur le spectacle ?

Le mois de décembre a été catastroph­ique pour tout le monde. Moins 40%, 50%. Moi j'ai eu de la chance, j'ai commencé l'exploitati­on de Spectacle familial au théâtre du rond point, sur la ligne 1, une des seules qui marchent. Donc j'ai fait complet pendant un mois. Mais je sais que ça a été terrible. Surtout que maintenant, l'exploitati­on des spectacles c'est novembre-fin mars.

Quelles sont les raisons de cette saisonnali­té ?

À la rentrée t'as de gros spectacles. Après avril, les beaux jours, mai les ponts, juin c'est terminé. Avant tu jouais du mardi au samedi. Maintenant tu fais vendredi samedi si t'es plein ça va. L'économie du spectacle a changé. On va évoluer vers une économie comme celle des chanteurs : tu pars en tournée, tu fais une Cigale, tu repars. Tu ne fais plus trop de résidence sur Paris.

Je pensais que justement les spectateur­s avaient davantage besoin de sortir…

Le divertisse­ment est à la fin de la chaîne alimentair­e. Les gens qui viennent nous voir sont pour la plupart, des gens qui galèrent, travaillen­t tous les jours, plus le temps avance moins ils ont d'argent. Ils pensent avant tout à remplir leur frigo.

Est ce que vous avez invité Patrick Sébastien voir ton spectacle ?

Je l'inviterai. Il y a peu de gens qui m'ont donné une chance, tu peux les compter sur les doigts de la main et Patrick Sébastien en fait partie. Tous les quatre-cinq mois il m'invitait sur son show. Je le tacle gentiment dans le spectacle mais je lui dois beaucoup.

Qui d’autre ?

T'as Drucker, le premier à la télé et Morandini à la radio. Il y a eu la rencontre avec Kader Aoun (le producteur des spectacles des Madénian, ndlr), qui a eu plus confiance en moi que je n'avais confiance en moi. J'ai de la chance de bosser avec des gens, depuis des années, qui croient davantage en moi que moi je ne crois en moi.

C’est la famille ?

Oui, tout à fait. C'est ça. Avec Kader, on n'a jamais signé un contrat. Et je préfère bosser comme ça.

La famille des années 2020, c’est quoi ?

En 2020, on trouve celle Kardashian normaux (Rires). C'est dire !

Ils tiennent bien, Kim et Kanye…

Normal : elle est Arménienne !

Spectacle familial : jusqu’à 25 avril au théâtre de l’Oeuvre (55 rue de Clichy, Paris 9ème) tous les vendredis et samedis à 21 heures, et en tournée.

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Le point commun entre la famille telle qu'on la connaît et Cosa Nostra, la famille mafieuse ? Les deux laissent de sacrés dégâts... Costume Hugo Boss
Fauteuil Bench & Berg.
JEUX D'ENFANTS Le point commun entre la famille telle qu'on la connaît et Cosa Nostra, la famille mafieuse ? Les deux laissent de sacrés dégâts... Costume Hugo Boss Fauteuil Bench & Berg.
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 ??  ?? ROYAL AU BAR
La meilleure manière de se relaxer après une dure journée de rackets en tout genre ? Se poser avec une plâtrée de pâtes et une bonne binouze...
ROYAL AU BAR La meilleure manière de se relaxer après une dure journée de rackets en tout genre ? Se poser avec une plâtrée de pâtes et une bonne binouze...
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Avec tous ces virus qui traînent, mieux vaut se laver les mains en rentrant du travail.
MAINS SALES Avec tous ces virus qui traînent, mieux vaut se laver les mains en rentrant du travail.
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Notre cover-star en plein entraîneme­nt pour son show du star.
STAND-UP Notre cover-star en plein entraîneme­nt pour son show du star.

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