FAMILLE, JE VOUS HAIME !
Notre coverstar Madenian livre ses désirs de famille et ses rêves domestiques derrière son air de Parrain dans son dernier spectacle. Serions-nous face à un retour de la cellule familiale ? Technikart a enquêté sur la société du moi-tout-seul, dont la famille est le dernier jalon.
Par Violaine Epitalon Parler de la famille c’est un peu comme recoucher avec son ex : c’est risqué mais au moins on connaît le terrain. Vous, parents, êtes terrifiés de voir votre ado torcher la totalité de son éducation ? Et vous, ado, tremblez devant l'idée de ressembler un jour à vos parents ? Chaque semaine, un trentenaire se voit dans l'obligation de mentir pour échapper à une réunion de famille... « Tout le monde est conscient qu'il est interdépendant, ne serait-ce que pour l'alimentation. Mais de plus en plus surgit l'idée qu'on peut se débrouiller tout seul, ce qui pousse à penser qu'on est censé tout assumer seul », nous rassure la psychologue Rebecca Shankland, co-auteure de Ces liens qui nous font vivre. On la croit sur parole. Le groupe social, dans une société où le moi est un tout, est désormais le lieu d'une volonté élective poussée à l'extrême. Et quid de la famille, cette cellule qu'on ne choisit pas ? Le « sang de la veine », le clan, ces êtres qu'on s'est coltinés pendant 18 ans (pour les plus chanceux d'entre nous) ? Malgré un abandon significatif du schéma traditionnel familial au profit d'un individualisme qu'on pense libérateur, on n'a jamais autant voulu retrouver ses racines, son identité, une forme de sécurité. Bref, des caractéristiques propres à la famille.
L’ENFER, C’EST LA FAMILLE
« Ceux qui ont pris soin de nous ont vu comme une base sécurisante, mais il y a un poids plus important accordé aux relations choisies. On a peur de la dépendance à sens unique, on préfère se dire qu'on n'a pas besoin des autres », précise Rebecca
Shankland. « Ne dépendre de personne donne l'illusion d'être plus fort et plus libre. » La psychologue, spécialisée en parentalité, souligne la nuance à établir entre dépendance et interdépendance. Parce qu'il est bon de partager un peu de faiblesse avec l'autre sans pour autant mettre en danger son autonomie et l'épanouissement individuel. Donc vive la co-dépendance ! Même sans la famille... La famille ne serait-elle pas délaissée au profit d'une substitution sociale équivalente en terme affectif ? On choisit « sa famille de coeur », son couple, ses amis, ses neveux et nièces, voire ses quatre chats, pour créer un environnement rassurant. « Aujourd'hui on se rend compte du poids de plus en plus important des relations choisies. On sélectionne avec qui on partage nos valeurs et c'est ce qui donne du sens à l'existence », insiste encore Rebecca Shankland. Sentez-vous donc libre d'habiter avec le casting complet des Aristochats. À bas la famille donc ? Pas du tout. Dans les faits, ce sont seulement les manières d'envisager et de construire la famille qui changent. Mais la recherche des valeurs et de l'imaginaire colporté par la famille reste une constante. On l'observe dans les sorties cinématographiques et littéraires des dernières semaines. À commencer par Marriage Story (Netflilx), un film qui raconte la séparation d'un couple marié, incarné par Adam Driver et Scarlett Johansson. La fin ? Ils divorcèrent et… vécurent heureux ? À l'heure où les retraités de 72 ans divorcent, comme le rappelle Mathieu Madenian, et où nous autres millennials balançons entre s'engager pour la vie et s'éclater pour la nuit, il nous semble délicat de trouver satisfaction dans le modèle familial traditionnel. Bien qu'encore majoritaire, il tend à s'effacer au profit de nouvelles configurations. Les chiffres donnés par l'Insee sont révélateurs : un abandon de la famille nucléaire au profit des familles à géométrie variable. Plus d'un quart des enfants vivent avec un seul parent (familles recomposées et familles monoparentales) et l'on observe une nette croissance des ménages sans enfant. Les femmes optent désormais pour un mariage tardif - voire pas de mariage du tout - et une nulliparité assumée (le fait de n'avoir pas d'enfant). On dit donc oui à l'attachement, oui à l'interdépendance choisie, tout en gardant une issue de secours : on veut pouvoir garder le pied dans l'encoignure de la porte. « Il faut transmettre le message que cette co-dépendance, ce besoin d'un cadre pseudo-familial, fait partie de la condition humaine. Demander, recevoir… Ça devrait être plus spontané », conclu Rebecca Shankland. Qu'on le veuille ou non, la famille, on l'a dans la peau. Quitte à en faire un spectacle familial ! D'un côté on envisage une autonomie complète. De l'autre, on crève d'envie de retrouver ce sentiment rassurant qu'on éprouve lorsque l'on sait qu'en rentrant chez soi, il y aura quelqu'un qui nous attend. Et vous, qui vous attend ?
Ces liens qui nous font vivre, Rebecca Shankland et Christophe André (Éditions Odile Jacob, 336 p., 21,90€) .