BELLEVILLE PARANO
Notre intrépide reporter, lassé de la cocaïne, des amphets et même du Red Bull, a décidé de chiller dans son appart de Belleville : il y teste pour nous « le plus dangereux des énergisants naturels ». Retour sur une semaine épuisante passée sous Kratom…
Le Kratom ? Cette substance – méconnue des Français et interdite depuis le 1er Janvier 2020 – provient des feuilles séchées d’un arbre tropical d’Asie du Sudest. La ville de Pontianak, située sur l’île de Bornéo en Indonésie est devenue, depuis dix ans, le premier producteur et exportateur du kratom. Cette drogue serait particulièrement populaire à Bali et en Thaïlande auprès des ouvriers qui la consomment pour tenir de longues heures sous un soleil cuisant – mais aussi chez les addicts à l’opium souhaitant se sevrer… Plus récemment, la plante est devenue un hit auprès des anciens toxicos de Portland (une dizaine de boutiques de la capitale des hipsters y sont dédiées)...
Il existe trois variétés : le blanc, dont les effets sont proches du speed ; le rouge, qui calme et diminue la sensation de manque des opiacés ; et le vert, qui serait un anxiolytique et un anti-douleur de compét (la substance stimule des zones du cerveau, avec des effets proches de la morphine, d’où sa classification dans les antidouleurs).
Pour les besoins de notre expérience, nous avons opté pour des capsules de « JetpackKratom Gold » – un concentré de mitragynine, l’agent actif du Kratom. Commandées sur le site hollandais Zamnesia, les quatre pilules aux effets « motivants, inspirants et vi
vifiants » sont arrivées dans un discret paquet en carton. Sachant que le Kratom peut se boire en infusion, se fumer ou s’avaler, et qu’il aurait un goût particulièrement amer, j’ai opté pour des gélules. Chaque prise s’est faite chez moi, avec un verre d’eau.
JOUR 1 : LE VISAGE DE TONY SOPRANO
Présenté comme une alternative au cannabis, le Kratom est bien plus potent que la plante préférée des français. Après tout, personne n'a jamais écrit de chansons en l'honneur de la menthe poivrée... J'ai donc fumé et attendu. Puis attendu encore. Au bout d'un peu plus d'une heure, l'effet s'est fait sentir d'un coup… Je me retrouve à passer 30 minutes à expliquer à mon ex pourquoi on devrait absolument se remettre ensemble – avant de pratiquer l'onanisme de manière frénétique. (Une journée normale, non ?, ndlr).
Oui, le Kratom est un aphrodisiaque puissant. Même si vous êtes seul(e)... Mon souvenir (et mes notes) rapportent un sentiment de bien-être et d'euphorie. Une impunité totale et assez libératrice. La seule hallucination que j'ai eue durant toute la durée de test est arrivée ce jour-là, pendant un épisode des Sopranos. Le visage de Tony était retourné comme si les plis de son front constituaient une bouche.
C'était le moment d'aller dormir...
JOUR 2 : EPUISÉ ET ZEN
J'ai d'abord pris une première pilule qui contraire
« AU BOUT D’UN PEU PLUS D’UNE HEURE, L’EFFET S’EST FAIT SENTIR D’UN COUP... »
ment à celle de la veille m'a mise dans un état de panique. C'est un effet secondaire dont j'avais entendu parlé dans les forums. En petite dose, le Kratom est boostant. Boostant dans le sens que j'ai été propulsé à grande vitesse, comme depuis le canon d'un cirque itinérant, attention à l'atterrissage. Un mail de ma banque pour me signaler mon découvert et j'étais parti en plein canyon, prêt à tomber comme Vil Coyote.
Je peux donc témoigner aujourd'hui que c'était une très mauvaise idée de reprendre une pilule. En effet, c'est universellement reconnu que le Kratom en grande quantité est relaxant, un bon moyen de calmer les anxiétés et de se poser. C'est vrai. Si par « calmer les anxiétés », vous entendez avoir l'impression d'être exténué. Et si par « relaxé », vous entendez avoir l'impression d'avoir une combinaison de cosmonaute sur le dos, casque compris.
Je suis sorti faire les courses. Et passé ce qui semble maintenant être deux heures à regarder toutes les étiquettes colorées des centaines de soupes instantanées de mon supermarché chinois, incapable d'articuler une phrase convenable quand on me propose de l'aide... Je n'ai pas souvenir d'avoir trouvé ce que je cherchais au rayon Ramen. Je n'ai même pas le souvenir d'avoir cherché quelque chose.
Ce soir-là, j'ai passé trois heures à essayer de dormir sans y parvenir. J'avais l'impression d'être resté éveillé 1000 ans sans même parvenir à m'en inquiéter. J'étais zen. Désespéré de dormir et épuisé… mais Zen.
JOUR 3 : ELLIOTT SMITH DANS LE NOIR
Accepter un déjeuner de travail en plein test était une très mauvaise idée. Dur de rester cohérent avec des difficultés à se concentrer, les dents qui grincent et le coeur qui s'emballe sans savoir quel rythme garder. J'avais l'impression d'être revenu de 3 mois de tournée avec Bowie période Thin White Duke, quand ses seuls repas étaient constitués de coke et de lait écrémé.
Pour éviter le pire, je me suis précipité aux toilettes dans l'espoir de reprendre une consistance humaine. En aspergeant mon visage dans l'évier, j'ai réalisé que j'avais l'air d'une statue de cire volée au musée Grévin. Et mes crampes ? Mon intense déshydratation ? Encore des cadeaux du Kratom. Paniqué, j'ai ravalé une crise de sanglots avant d'aller me rasseoir.
Le plus surprenant, c'est que cette scène n'avait pas spé
cialement dérangé (ou surpris) l'éditeur avec lequel je déjeunais. En tous cas moins que de me voir bouder mon fish and chips. (Mon estomac bloqué, mon foie qui me torture ? Encore ce foutu Kratom.) Face au calme de mon interlocuteur, j'en venais à me demander : et si tous les best-sellers de France carburaient au Kratom ? Cela expliquerait enfin comment Guillaume Musso arrive à pondre à une telle vitesse...Calme ou pas, j'ai planté le rendez-vous. À la manière de la MDMA, la plante avait reprit ce qu'elle m'avait donné, toutes les fulgurances des jours précédents laissant place à un flot de paroles aussi approximatives que maladroites. Je m'enfonçais 20.000 lieues sous les mers. C'était un voyage au centre de l'occasion ratée.
Ce jour-là, je n'ai pris pas de pilules. J'étais trop triste pour me défoncer. J'ai passé le reste de la journée à écouter Elliott Smith. Dans le noir.
JOUR 4 : NU SUR MON LIT
Par masochisme ou par devoir, j'ai décidé de prendre la dernière capsule et de me mettre à la rédaction de cet article. L'effet a mit une heure à monter et comme dans un mauvais rêve, j'avais la sensation de tomber. Prendre du Kratom et écrire, c'est comme essayer de sortir d'un TGV en plein trajet. Les informations passent à 100 à l'heure et toutes les portes sont scellées. Une sensation claustro qui rappelle la ritaline, la drogue qu'on prescrit aux gamins qui ont des troubles de l'attention. (Loin de moi l'idée de reprocher à des parents de donner des amphétamines à leurs marmots pour pouvoir regarder Touche pas à mon poste tranquille. Mais hors de cette utilisation médicale, je ne suis pas fan du produit.) Créer, c'est par définition sortir de sa propre tête, pas s'y perdre. Mais à cet instant, les rainures de mon cerveau étaient les allées d'un labyrinthe dans lequel Jack Nicholson me poursuivait. Merci ô Kratom.
De fortes nausées m'ont pris, j'ai vomi quelques gerbes peu satisfaisantes... Six heures plus tard, j'étais nu sur mon lit à boire du thé tiède en avalant du charbon végétal, de la citrate de bétaïne et de la levure de bière. Tout ce que je pouvais trouver de sain pour faire passer les effets de la pilule. Ma déchéance était complète.
JOUR 5 : MES CONCLUSIONS
Le Kratom n'est pas une drogue festive, mais un outil. Pour certains, il sert de pompe à inspiration. Pour d'autres, d'aphrodisiaque.
La majorité des utilisateurs américains sont des anciens addicts aux opiacés ou souffrant de douleurs chroniques. Ce n'est pas mon cas, et je ne pourrais vous parler des effets sur le long terme de cette substance. Une prochaine fois, peutêtre.
Les autorités sanitaires françaises rapportent que « le Kratom est à l’origine de dépendance, de syndrome de sevrage, d’anorexie, de perte de poids, d’une décompensation psychotique et d’une hépatite toxique ». Sympa.
Avec 91 overdoses aux Etats-Unis en 2019, le danger est faible, mais bien présent. Il est à noter que ses réactions sont majoritairement liées à des mélanges avec d'autres drogues.
Arnaud, un contact bien plus expérimenté qui travaille dans le bâtiment, en prend depuis près de 5 ans. Il existe autant de manières d'en consommer que de qualités différentes.
D'après lui, j'aurais simplement « trop pris, trop vite » pour pouvoir en apprécier les bienfaits. Il me propose d'en reprendre. Je préfère le croire sur parole…
« À CET INSTANT, LES RAINURES DE MON CERVEAUX SONT LES ALLÉES D’UN LABYRINTHE DANS LEQUEL JACK NICHOLSON ME POURSUIT. »