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CRILLON SUR VODKA

Le bar de l’hôtel le plus chic du quartier le plus cher de Paris ne serait-il pas le Paradis des has-been ? Réponse de notre chroniqueu­r... entre deux Moscow Mule.

- Par Oscar Coop Phane

J’ai toujours eu un faible pour les bars d’hôtel. Certes, c'est un romantisme évident, mais je n'ai rien contre les clichés. Les voyageuses, les musiques d'ambiance insignifia­ntes et tamisées, les lumières jaunes, chaudes, comme on lit sur les boites d'ampoule - oui, tout cela me plait. Je me surprends à rêver de grande richesse pour ces raisons-là. Oubliez les grosses bagnoles ou les baraques à Cucuron, les voiliers ou les PEL – le bonheur des poches pleines se trouve dans les grands hôtels.

J'ai récemment bu de la vodka au Crillon. Depuis que les voituriers m'ont aidé à redémarrer ma moto que je poussais péniblemen­t de ce côté-là de la place de la Concorde... Depuis ce moment-là, où, sans que je ne leur demande rien, n'étant pas client, et simplement puisqu'ils me voyaient galérer sous la flotte à charrier ce vieux tas de ferraille qu'est ma 500 Four, et qu'ils sont allés chercher ce qui ressemble à s'y méprendre à un défibrilla­teur pour batteries aplaties, je voue une sorte de respect sacré, secret aussi pour cet hôtel. Et donc, le plus naturellem­ent du monde, quand un ami m'a dit qu'il passait des disques là-bas un jeudi soir, j'y suis allé comme en terrain conquis, presque sûr que l'on allait m'attendre, me reconnaitr­e et me serrer la pince.

J'ai été bien déçu de ne pas retrouver les types à l'entrée, mais, négligeant ma susceptibi­lité, je me suis dirigé à droite vers Les Ambassadeu­rs.

Mon pote était là, au fond, derrière des platines, ce matos brut et délicat devant lequel je bavais quand j'avais quatorze ou quinze ans. Il jouait un truc pas mal – je ne me souviens plus très bien quel genre de musique, mais je me souviens lui avoir dit que j'aimais plutôt bien, et je me souviens aussi de ne pas lui avoir dit par politesse et, même si j'avais déjà sifflé une bouteille de vin, je n'étais pas à cet endroit de l'ivresse où je tape du pied sur n'importe quel morceau qui fait boum boum.

BLOODY, GINGER, MOSCOW

C'est là qu'est arrivé mon drame. J'avais des amis qui étaient assis, des amis à qui l'on avait offert une grande bouteille de vodka, comme en boîte de nuit. Je les ai rejoints, et je dois dire, que même si j'étais content de les voir, je ne pouvais pas supporter cet affront fait au bar d'hôtel.

Je m'explique : à l'hôtel, c'est un Dry (au gin bien entendu et avec une olive – épargnez moi ce twist que je ne saurais boire) ou un Bloody Mary. Rien d'autre. Pour le Dry, un verre à cocktail rincé au Noilly Prat et du Tanqueray (un gin qui a vraiment goût de gin). Pour le Bloody Mary, si vous avez du raifort et du céleri frais, je suis preneur. C'est tout.

Vous imaginez bien alors mon malheur. J'étais assis là et Les Ambassadeu­rs - qui ont quand même une sacrée gueule - devenaient, à cause de la bouteille, à cause du seau à glace, quelque chose comme un lounge à Alésia, ou pire, un carré VIP avec fauteuils en velours et playlist du Buddha bar. Et je buvais cette vodka avec du Ginger Ale, comme un Moscow Mule amoindri, fier de mes faiblesses.

Alors oui, j'ai passé une chouette soirée parce que l'on a rigolé, parce que l'on a regardé des filles séduire des vieux clients, mais pour rien au monde je n'étais dans un hôtel, puisque le bar de palace ne se pratique que seul ou à deux, au comptoir, un Dry Martini à la main.

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Le secret d’un bon Moscow : ne pas le boire seul.
GINGER ALE ET CITRON VERT_ Le secret d’un bon Moscow : ne pas le boire seul.
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Photo Hugues Pascot

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