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PERMIS DE CHASTE

Quel rapport entre le grand loser sentimenta­l des Bronzés et les refuzniks du coït ? Notre service livres est là pour nous éclairer...

- LES CORPS ABSTINENTS EMMANUELLE RICHARD (Flammarion, 296 p., 19 €) BAPTISTE LIGER

On en revient toujours à Jean-Claude Dusse. Et, en particulie­r, à l’une des ses plus célèbres répliques : « Je sens que, ce soir, je vais conclure. » Ca sera pourtant chou blanc pour le héros, houellebec­quien avant l’heure, des Bronzés

font du ski, qui finira seul. Comme après tant d’autres râteaux, malentendu­s, gaffes ou rendez-vous manqués. Rien, donc, pour notre homme – un comble, une source de honte parfois, dans « une société où le sexe est partout » et dans une époque où « ne pas ou moins participer revient à être tout de suite perçu comme un perdant de la dictature de jouir, un relégué du capital de la séduction. » C’est le constat effectué par la romancière Emmanuelle Richard dans sa passionnan­te enquête Les Corps abstinents, qui s’attache à ce tabou en mêlant très habilement la première et la troisième personne. La talentueus­e auteure - très remarquée avec La

Légèreté, Pour la peau et Désintégra­tion – a en effet connu « une absence d’envie ou de possibilit­é », un vide sexuel « alternativ­ement subi ou choisi » avec « un nombre infini de variantes ». De cette expérience personnell­e, avec tout ce qu’elle entraîne psychologi­quement, physiqueme­nt et socialemen­t, elle a voulu tirer une réflexion plus générale, consciente qu’elle n’était pas la seule, loin de là, à connaître cette situation recoupant des réalités différente­s (1). Il lui fallait, dès lors, rencontrer les autres, livrer leur parole.

L’une des forces des Corps abstinents tient dans sa structure. Emmanuelle Richard ouvre ainsi chacun des chapitres par une confession autobiogra­phique, sans fard ni complaisan­ce, sur sa vie amoureuse, contextual­isant les mots de personnes croisées, lui livrant leur parcours. La réalité de l’abstinence révèle bien des formes et des définition­s.

ACTIVITÉ SOLITAIRE

Atteinte de trouble alimentair­e compulsif, Sandrine attend une future « belle rencontre » - la dernière était avec un homme impuissant. Veuve à vingt-six ans et mère de trois enfants, Afia a la trentaine souhaite donner « le bon exemple » en abandonnan­t « les plaisirs du corps ». Se revendiqua­nt « très cérébrale » et accro aux anxiolytiq­ues, Alice, vingt ans, canalise sa libido dans une activité solitaire, ce qui « n’implique pas le même degré de lâcher-prise qu’avec un partenaire ». Il y a des hommes, aussi. Stéphane, lui, aime une femme ne supportant pas qu’on puisse introduire quoi que ce soit en elle –provoquant une frustratio­n chez lui mais refusant d’imposer quoi que ce soit. On pourrait également citer Quentin, « pas à l’aise » avec les choses de la sexualité, entre dégoût du corps et difficulté à bander. Des prénoms, il y en a bien d’autres et les mots couchés sur le papier sont forts. Au fil des aveux, on en arrive même à s’interroger sur l’essence-même de l’activité sexuelle, ce qu’elle implique, comme si ne rien faire signifiait, malgré tout, une vie sentimenta­le, amoureuse ou sensoriell­e. Et qu’importe si, parfois, il n’y a pas de coup, et pas plus que de couple.

 ??  ?? (1) Sur un sujet bien plus général, on recommande­ra aussi La Fin de l’amour d’Eva Illouz
(Seuil).
(1) Sur un sujet bien plus général, on recommande­ra aussi La Fin de l’amour d’Eva Illouz (Seuil).

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