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CITIZEN HOGG

Sir Michael Lindsay-Hogg est sans doute le secret le mieux gardé des grandes années du Swinging London. Réalisateu­r rare, éternel dandy et véritable artiste du cool, le fils caché de Orson Welles devenu ami des Beatles et des Stones a vécu mille vies… À l

- Par Yan Céh

« DANS LA SECONDE MOITIÉ DES ANNÉES 60, LE MILIEU DU ROCK ÉTAIT ENCORE LÉGER, DRÔLE, SANS PRISE DE TÊTE. »

Né un cinq mai 1940 à New York, d'un baronnet anglais du nom de Edward Lindsay-Hogg et de l'actrice Geraldine Fitzgerald dont il est l'unique fils, Michael va grandir simplement, sans se douter que l'ami de la famille, un certain Orson Welles, pourrait être un peu plus. Ce mystère, dont nous parle aujourd'hui cet homme élégant installé dans un coin de sa galerie parisienne, la Pixi*, est avant tout celui de sa vie : « Orson m’a donné le goût du mystère, c’est sûr, sourit-il. Pendant des années, je n’ai pas su qu’il était mon père, et parfois, je me pose encore la question… Ce que j’aime dans cette histoire, c’est justement le mystère qui l’entoure. Il y a beaucoup d’évidences dans cette paternité, à commencer par une certaine ressemblan­ce, je l’avoue. Dans un livre d’entretiens avec mon père, écrit par le réalisateu­r Henry Jaglom, il dit, dans un premier temps, qu’il n’a jamais passé de nuits avec ma mère, jeune actrice à l’époque du nom de Geraldine Fitzgerald. Puis, plus tard, il lâche qu’effectivem­ent, il a passé du bon temps avec elle… » Et, lui, quels sont ses souvenirs ? « Ce dont je me rappelle très bien par contre, c’est le cigare que ce cher Orson me plantait dans la bouche avant chaque représenta­tion au théâtre. Jeune comédien, je devais avoir vingt ans, et il m’avait demandé de jouer dans une représenta­tion du Falstaff qu’il mettait alors en scène (en 1960, ndlr). Je me rappelle du nom de ces cigares, des “Henry Clay”. La première fois, cela m’a totalement flingué! Puis je me suis habitué, et j’en fume encore aujourd’hui, à 79 ans. Orson m’a donc transmis l’amour du cigare ! Par contre, je fais mon possible pour éviter l’amour de l’embonpoint qu’il avait. Ainsi, depuis des années, je ne déjeune plus. Je prends un bon breakfast le matin et mange quelques bricoles le soir… »

LIKE A ROLLING STONE

Peu d'excès pour cet homme ayant pourtant fait ses armes au coeur du Swinging London. En 1965, Michael Lindsay-Hogg, à seulement vingt-quatre ans, est producteur et réalisateu­r d'une émission de télévision qui ne va pas tarder à devenir culte : Ready Steady Go !. En effet, dans ce programme, tous les groupes qui affolent l'Amérique, des Kinks à Jimi Hendrix, en passant par les Yardbirds et autres Monkees, défilent pour interpréte­r leurs tubes. Sans oublier, évidemment, les deux phares que sont les Beatles et les Rolling Stones. Rencontran­t grâce à cette émission la crème de la crème des groupes de la « British invasion », Michael se lie d'amitié avec un Paul McCartney séduit par la nonchalanc­e cool qui fait sa singularit­é. Quelque temps après le passage des Beatles dans l'émission, McCartney l'appelle et lui propose un rendez-vous. Il a une idée derrière la tête, et lui demande de réaliser de courts films pour leurs chansons. Michael se met ainsi à réaliser des proto-clips pour « Paperback Writer » et « Rain »… Mick Jagger, un oeil rivé en permanence sur la concurrenc­e, lui demande de réaliser des films pour les Rolling Stones. Michael démarre avec « She's a rainbow » et « 2.000 light years from home » en 1967 – il réalisera les clips des Stones jusqu'en 1982… « En venant me chercher, Mick voulait la même chose que les Beatles, et je n’ai pas refusé, cela m’amusait de tourner avec eux aussi, se souvient-il. Il y avait une certaine innocence dans ces années-là, le milieu du rock était encore léger, drôle, sans prise de tête. L’industrie n’était pas encore ce qu’elle est devenue, avec son armée de yuppies et de gens du marketing pensant avoir tout compris et faisant systématiq­uement les mauvais choix pour des résultats grotesques. Non, à ce moment-là, l’idée principale était de s’amuser, de passer un bon moment à tourner des films, à rigoler… »

Pour les Rolling Stones, Michael va réaliser le show devenu légendaire, Rock’n’Roll Circus, tourné en 68 mais mis au placard par Jagger jusqu'en 1996. Michael sort des photos produites lors du tournage : « Tu vois, là, Keith a dans le bec un cigare que je lui ai donné. Il enfumait tout le monde, c’était marrant de voir les autres râler, et nous en train d’envoyer des volutes partout… » Mais le fait de gloire de Michael reste et restera un film

fameux, une idée unique, qu'il a eu avec les Beatles. Pendant l'enregistre­ment de l'album qui deviendra Let it be, George Harrison n'en peut plus de la célébrité, et les relations entre les autres membres du groupes sont glaciales. Pourtant Paul, « le plus sympathiqu­e des quatre » selon Michael, a envie de tourner un film, quelque chose, avec le groupe. Le 30 janvier 1970, Michael est avec les quatre musiciens dans les locaux de leur label, Apple Records. Et lance l'idée de monter sur le toit du building et de chanter un morceau en les filmant. « Ringo n’avait pas envie, il disait qu’il faisait froid dehors, que ce n’était pas une bonne idée. Harrison lui emboîte alors le pas, et dit qu’il n’a pas vraiment envie de jouer… Paul, toujours positif, trouve lui que c’est une bonne idée, et a envie de le faire… Alors tous les trois se sont tournés vers John, enfoncé dans un canapé, qui regardait avec un certain amusement la scène. John avait souvent le dernier mot, je pense. Et il s’est levé, et a dit ‘Fuck it! Let’s do it!’. Alors les autres se sont alignés sur la déclaratio­n de Lennon et tous les quatre sont montés sur le toit. On a installé les instrument­s, les caméras, et on a tourné. Ils ont donc chanté ensemble le très beau “Let it be”, du haut du toit de Apple Records. Les fans, en bas, hurlaient et de plus en plus de monde est arrivé. Ce que l’on ne savait pas, à ce moment-là, c’était qu’après ce récital, les Beatles ne joueraient plus jamais ensemble. Cet enregistre­ment organisé à la vavite est devenu historique. »

Michael va ensuite continuer à tourner des vidéos pour Wings -le nouveau groupe de McCartney- et les Stones, toujours, tout en s'essayant à la réalisatio­n de téléfilms.

DESSINS DEADPAN

L'éternel dandy enchaîne sans transition sur ses relations avec les femmes, et une en particulie­r, celle qui l'aura marqué plus que les autres : l'ex-mannequin Gloria Vanderbilt, grande dame de la mode, dont les parfums sont d'énormes succès dans les années 80. Il a alors tout juste quarante ans, et, elle, cinquante-sept. Leur histoire durera plusieurs années. Vanderbilt va l'encourager, alors que leur couple défraie la chronique… « Elle m’a dit un jour que mes dessins lui faisaient penser aux oeuvres de Paul Klee. Je n’aurais jamais rêvé recevoir un tel compliment ! J’ai toujours admiré l’art de Klee ! »

Comme son père avant lui, Michael passe beaucoup de temps à dessiner, à peindre. Orson Welles avait un don pour le dessin, que l'on peut découvrir dans le livre Welles, Portfolio, Sketches and Drawings from the Welles Estate… Chez Michael Lindsay-Hogg, on retrouve plutôt l'esprit coloré et graphique des premières peintures des Anglais David Hockney ou Peter Blake. Des esquisses élégantes au crayon, dessinées aussi bien sur des pages de carnets, de cahiers avec lignes ou même des visages croqués sur des rouleaux de papier toilette…

Très tôt, il associe à ses dessins des mots, des lettres, que l'on peut qualifier en V.O. de deadpan, pince sans rire. Un humour qui tombe comme un couperet – mais toujours avec cette élégance du trait et du coeur, s'approchant de la méchanceté pour mieux l'éviter, la rouler par terre. Dilettante à la façon d'aborder la vie, avec cette nonchalanc­e donnée par un cigare dans une main et un verre de whisky dans l'autre, Michael Lindsay-Hogg

aura donc incarné « le cool », sans le moindre effort, une soixantain­e d'années…

De ses cafés avec Humphrey Bogart au Romanoff 's de Beverly Hills, aux soirées passées avec McCartney ou Mick Jagger, en passant par ses années au Château Marmont ou ses cocktails avec Brigitte Bardot, Michael cultive ses souvenirs comme autant de dessins à griffonner sur un bout de table, sur une serviette en papier, un rouleau de papier toilette, une carte retrouvée dans la poche d'une veste. Chaque fragment de sa mémoire est prétexte à une histoire de quelques mots, de quelques traits. Une vie consacrée à la liberté et à la légèreté, cela en vaut toujours la peine, non ?

* Galerie Pixi, 95, rue de Seine, 75006 Paris (wwww. galeriepix­imarievict­oirepoliak­off.com)

 ??  ?? LE MONDE EST STONE_ M. L. Hogg, accompagné de, Keith Richards et Mick Jagger, en 1981. Quels poseurs !
LE MONDE EST STONE_ M. L. Hogg, accompagné de, Keith Richards et Mick Jagger, en 1981. Quels poseurs !
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Les dessins et peintures de Hogg sont admirés par les survivants les plus esthètes des années 60.
HOGG(ART)_ Les dessins et peintures de Hogg sont admirés par les survivants les plus esthètes des années 60.
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Lennon, Jagger et, à gauche, leur clippeur préféré, pendant le tournage du Rock And Roll Circus en 1968.
POP EN STOCK_ Lennon, Jagger et, à gauche, leur clippeur préféré, pendant le tournage du Rock And Roll Circus en 1968.

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