Technikart

ANGE ET DEMONS

Une infirmière timide et bigote se met en tête de sauver l’âme d’une patiente. Un miracle cinématogr­aphique qui embarque le spectateur aux enfers.

- MARC GODIN

SAINT MAUD ROSE GLASS (EN SALLES LE 25 NOVEMBRE)

Nos vies de cinéphiles sont ponctuées de séquences anthologiq­ues sublimes, insoutenab­les, inoubliabl­es, qui nous

ont crucifié à nos fauteuils : le foetus astral de 2001, le passage de la tranchée de L’Enfance d’Ivan, l’oeil coupé en deux du Chien andalou, Meryl Streep au carrefour de sa vie dans Sur la route de Madison, l’ombre de Robert Mitchum dans La Nuit du chasseur… Premier long-métrage britanniqu­e, le prodigieux Saint Maud comporte une séquence de cette puissance tellurique. Nous sommes à la fin du film, lors d’une ultime confrontat­ion entre Maud, infirmière à domicile, et Amanda, danseuse souffrant d’un lymphome de la moelle épinière. Et soudain, tout bascule, le film explose, se métamorpho­se. Pendant une dizaine d’interminab­les secondes, le pauvre spectateur se retrouve propulsé dans un ailleurs, saisi par la terreur la plus primitive, avant de perdre ses repères dans une épiphanie gore. On n’est plus au cinéma, mais aux enfers. Avec la rétine brûlée au fer rouge et la tête définitive­ment à l’envers.

RÉDEMPTION À LA TRONÇONNEU­SE

L’auteur de ce merveilleu­x tour de magie cinématogr­aphique s’appelle Rose Glass (voir notre portrait page 46), 30 ans, scénariste et réalisatri­ce promise à un avenir radieux. En 83 minutes chrono, elle dépeint le chemin de croix d’une infirmière réservée qui se confond avec le papier peint. Elle arpente inlassable­ment les rues glauques d’une cité balnéaire anglaise, incapable de se lier, d’avoir le moindre ami. « Tu dois être la fille la plus seule que j’ai jamais vue », lui déclare sa patiente. Car elle a un terrible secret : elle pense recevoir des messages directemen­t de Dieu. Entre deux séances de pénitences au fil barbelés, elle se met bientôt en tête de sauver l’âme de la patiente en fin de course dont elle est censée prendre soin…

Si Maud est fragile, Rose Glass semble dotée d’une force quasi-divine. C’est une débutante et elle filme comme un vieux routier du suspense, ressuscita­nt la perfection claustro des meilleurs Polanski (au hasard Rosemary’s Baby et Répulsion) ou le désespoir existentie­l de Taxi Driver. Elle n’a peur de rien et mixe religion, humour noir, tortures et même une sexualité maladive. Avec une lumière crépuscula­ire qui fait émerger les visages des ténèbres, une magnifique série de contre-plongées et de travelling latéraux, Rose Glass transforme son film en piège et te plonge dans la tête passableme­nt secouée de cette folle de dieu, avant la bombe à fragmentat­ion finale. Un vrai film culte… Rose Glass se révèle également une excellence directrice d’acteurs en ciselant un diamant brut, la sublime Morfydd Clark, que l’on verra bientôt dans la série télé adaptée du Seigneur des anneaux.

Multi-récompensé au festival de Gérardmer, Saint Maud parle de l’âme mais t’arrache les tripes, évoque la religion mais célèbre le Dieu Cinéma. Le seul vrai et beau miracle de 2020.

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