JACQUES PERRYSALKOW, LE SCRABBLE AUX PINCES D’OR
Ce pur génie des anagrammes et des palindromes serait-il l’un des meilleurs écrivains français contemporains ?
ANAGRAMMES DANS LE BOUDOIR JACQUES PERRY-SALKOW ET LAURENCE CASTELAIN (Actes sud, 142 p., 15 €)
C’est une loi au fond moins télévisuelle que littéraire : en chaque écrivain il y a un Bertrand Renard qui sommeille. Vous savez, l’admirable « juge » à moustache des Chiffres et des lettres qui, depuis des décennies, nous donne le juste compte ou nous sort au débotté des mots de neuf lettres dont on ne soupçonnait même pas l’existence. Après tout, l’éternel second rôle de l’émission préférée des Ehpad ne serait-il pas le fils spirituel de Raymond Queneau et Georges Perec qui ont su montrer les liens ludiques entre écriture et mathématiques ? Telle est la loi de l’Oulipo qui continue ses réunions mensuelles et réussit encore à nous surprendre. Constatez : qui aurait cru que l’un des ouvrages les plus plébiscités de la rentrée serait un roman de S.F. (on le dit à gros traits) d’Hervé Le Tellier ? Mais l’engouement inattendu pour L’Anomalie n’est certainement pas l’arbre qui cache la forêt de la créativité de ce mouvement. Y compris lorsqu’on est en off. Ainsi, s’il n’appartient pas officiellement à l’Oulipo, Jacques Perry-Salkow n’en est pas moins, paradoxalement, l’un des meilleurs représentants de cet esprit revendiquant l’art de la contrainte comme moteur d’inventivité.
À L’ENVERS À L’ENDROIT
Les vieux lecteurs des pages livres de Technikart connaissent son nom : il avait été l’un des lauréats de la première « Opération manuscrits » de votre magazine. Il faut dire que tout le jury (à savoir, le camarade Jean Perrier et l’auteur de ces lignes) avait été bluffé par le texte envoyé (que notre homme avait co-signé avec Frédéric Schmitter) : Sorel Eros. Soit un roman-palindrome de 10001 lettres (oui, la même chose de droite à gauche et de gauche à droite) ! Malgré bien des messages de félicitations, les maisons ont eu peur de publier cet objet aussi génial qu’invendable, jusqu’à ce que Rivages ne sorte la chose pile au moment du confinement ! Quand ça ne veut pas…
Entre temps, le sieur Perry-Salkow, pianiste de formation, s’est imposé comme le maître absolu des anagrammes. Après avoir signé plusieurs tomes avec la complicité de Raphaël Enthoven, Sylvain Tesson, Karol Beffa ou Etienne Klein, il nous propose aujourd’hui un nouveau recueil de ces petits bijoux, cette fois-ci sous le signe de l’amour (ou du cul). Aidé dans sa tâche par Laurence Castelain, ce rival de Rain man nous offre une nouvelle fournée de ses petits chefs d’oeuvre dont il a le secret. Allez, jouons avec lui : « L’origine du monde » devient « Religion du démon », « Le romantisme » peut se transformer en « Larmoiements », « Devoir conjugal » mute en « Ce jargon du viol ». Encore : « La demande en mariage » signifie aussi « La rengaine de madame » ; « Mon profil » vaut « Film porno » et « Le péché originel » s’impose comme une « Giclée orpheline ». Du génie ? Oui. Anagrammes dans le boudoir recèle de ces joyaux formels qui, en plus, font sens et nous donneraient envie de relancer un autre jeu TV culte des années 80, Anagram. Mais à quoi bon s’enfoncer aujourd’hui une banane dans l’oreille, comme le faisait alors son présentateur, Daniel Prévost ?