Technikart

LEÇON DE PSYCHOSE

- ERIC DAHAN

Mètre-étalon du film fauché qui réconcilie art et commerce en rapportant 50 fois sa mise, Psychose d’Alfred Hitchcock revient en 4K, pour ses soixante ans, seul dans son steelbook ou coffré avec trois autres chefs-d’oeuvre en couleur du maître du suspense, également boostés au format UHD et plus rutilants que jamais.

«PSYCHOSE» «FENÊTRE SUR COUR» «LES OISEAUX» «SUEURS FROIDES» ALFRED HITCHCOCK Coffret 4K UHD et Blu-ray (Universal)

En 1959, Hitchcock a déjà aligné une quarantain­e de longsmétra­ges et vient de signer coup sur coup l’envoûtant Sueurs

froides et le trépidant La mort aux trousses. S’il n’a plus rien à prouver, la lecture d’un roman de Robert Bloch, dont vient de rendre compte le New York Times, va lui donner l’occasion de se réinventer et de bouleverse­r l’histoire du cinéma. Intitulé Psycho, ce livre est inspiré de la vie d’Ed Gein, alias « le boucher de Plainfield » qui, non content d’abréger l’existence de ses contempora­ins, confection­nait des objets décoratifs à partir de cadavres déterrés dans les cimetières de sa région. Hitchcock bloque les droits d’adaptation, présente son projet aux cadres de la Paramount mais ces derniers détestent le sujet du film autant que sa propositio­n de le tourner vite et en noir et blanc avec l’équipe qui réalise la série télé Alfred Hitchcock présente et ils prétendent qu’aucun plateau n’est libre. Loin de se démonter, le maître du suspense réplique qu’il financera Psychose luimême et qu’il le tournera dans les studios Universal ; à charge de Paramount d’en assurer la distributi­on. Le film d’horreur alternatif est né, qui va inspirer une palanquée d’autres succès, de Massacre à la tronçonneu­se à Paranormal activity.

LIBERTÉ SEXUELLE

Si Psychose ne fit alors pas l’unanimité, c’est désormais le film le plus célèbre d’Hitchcock, en raison de sa scène de meurtre sous une douche: six jours de tournage, sur un total de trois semaines, pour 45 secondes à l’écran, ou trois minutes si l’on prend la séquence du début à la fin. Pas question à l’époque de montrer un couteau plongeant dans des chairs, ni une femme dans le plus simple appareil, même si Hitchcock recourt bien à une doublure nue. Tous les spectateur­s jureront pourtant avoir vu le contraire, effet des 77 plans storyboard­és et montés staccato sur un crescendo de cordes crissantes à faire se dresser les cheveux sur la tête.

De même que l’on ne saurait réduire Foreign Correspond­ant au crash de son avion dans l’océan, Saboteur à son finale au sommet de la Statue de la Liberté ou La mort aux trousses à la fuite sur le Mont Rushmore, le génie de metteur en scène d’Hitchcock s’exprime dès la première séquence de Psychose, dans une chambre d’hôtel à Phoenix, à la fois virtuose et dérangeant­e car elle rend le spectateur complice de l’immoralité des protagonis­tes. Une immoralité relative, Janet Leigh payant vite et cher son larcin comme sa liberté sexuelle, mais qui contamine le film, tant le fait de faire mourir une star à mi-parcours pour mettre en vedette un tueur homosexuel et travesti, était alors provocant.

Là encore, Hitchcock eut du génie en s’écartant du roman de Bloch qui décrivait le psychopath­e comme un homme mûr alcoolique et obèse, et en confiant le rôle au jeune et fringant Anthony Perkins, révélé par William Wyler et Anthony Mann. Ce cocktail de crudité et d’ambiguïté, d’innocence et de violence stylisée suscitera trois suites, un téléfilm, et un remake signé Gus Van Sant, en 1999, sans jamais être égalé. Parce qu’en matière de voyeurisme — le fabuleux Fenêtre sur cour de 1954 — et de perversité — La corde de 1948 —, l’héritier, en matière d’invention formelle, de Murnau, de Lang et d’Eisenstein, avait plusieurs longueurs d’avance sur ses contempora­ins.

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