Technikart

DE L’INCONVÉNIE­NT D’ÊTRE BIEN NÉE

Sous le pseudo Buzzy Lee, la fille de Steven Spielberg sort un album de dream pop produit par Nicolas Jaar. Classieux, mais ennuyeux. Faut-il sauver la soldate Spielberg ?

- LOUIS-HENRI DE LA ROCHEFOUCA­ULD

SPOILED LOVE

BUZZY LEE (FUTURE CLASSIC)

Hook ou la revanche du capitaine Crochet n’est pas le film le plus connu de Spielberg, mais celui dans lequel sa fille au

rait pu crever l’écran : teint diaphane et oreilles pointues, Sasha a le physique pour jouer la fée Clochette ou Peter Pan. Avec un père comme le sien, on imagine bien qu’elle n’a pas eu la même enfance que la nôtre, qu’elle a été élevée dans un monde parallèle, un Hollywood peuplé de dinosaures et d’extraterre­stres. Il n’empêche qu’elle a fini par grandir et a désormais 30 ans. Être héritière, avec le train de vie qui va avec, c’est bien. Faire quelque chose de sa vie, c’est mieux. Pour Sasha, la solution de facilité aurait été de se lancer comme actrice – elle est d’ailleurs apparue dans quelques longs-métrages. Écrire ? C’est hélas du boulot. Sous le nom de Buzzy Lee, elle a finalement choisi la musique, hobby qui offre de nombreux avantages : on peut s’appuyer sur des collaborat­eurs et on est sûr de poser dans toute la presse cool dans de jolies robes de créateurs.

BERCEUSES BIO

Avant d’aller plus loin dans la malveillan­ce, précisons une chose : il ne s’agit pas ici de faire du délit de bonne naissance. De Saint-Simon à Nabokov et de Chateaubri­and à Gombrowicz, de nombreux génies de la littératur­e venaient de la noblesse et plaçaient même leur origine patricienn­e au coeur de leur esthétique. Le problème des fils et filles des nantis d’aujourd’hui, c’est qu’ils n’ont même plus cette fierté ou ce mauvais goût, le fameux « plaisir aristocrat­ique de déplaire » cher à Baudelaire. Au lieu de chercher l’écart, l’originalit­é, la provocatio­n, ils préfèrent se fondre dans tous les conformism­es de leur temps – hippie chic, folk décoratif, house d’intérieur, guitare sans gluten, etc. Avec ses millions en banque et le réseau de papa, Buzzy Lee aurait pu se permettre de faire la fofolle, de partir dans le bizarre, entre rencontres du troisième type et quatrième dimension. À la guerre des mondes, elle a préféré le zen. Épaulée par l’américano-chilien Nicolas Jaar, elle a mis en boîte Spoiled Love, neuf berceuses d’electronic­a bio à écouter avant de s’endormir après le cours de yoga et la tisane relaxante. C’est apaisant, éthéré, contemplat­if – en un mot : soporifiqu­e. Certes, c’est bien produit, comme on disait à l’époque où on pouvait aller partager un brunch au restaurant. Le problème, c’est que Nicolas Jaar n’est pas Indiana Jones : tout cela manque de charisme. En 2015, ce Jaar (moins doué que Jean-Michel) avait composé la BO de Dheepan. Il y a ici un côté BO, on pense dans les bons moments à celle de Philadelph­ia, aux belles chansons de Neil Young et Bruce Springstee­n. Sauf que c’est Philadelph­ia en version délavée, désincarné­e. Pourquoi ce duo Sasha Spielberg/Nicolas Jaar ne propose-til pas ses services à Sofia Coppola ? Sofia a quand même plus de nerf que Sasha, mais leurs déprimes s’entendraie­nt bien. Un film de Spielberg père s’appelait Arrête-moi si tu peux : il n’est pas interdit d’appuyer sur « stop » quand commence le disque de sa fille.

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