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MERCI CASTEX ! « »

Si on avait dit, début 2020, à notre chroniqueu­r qu’il remerciera­it un jour le Premier ministre pour l’avoir séquestré durant des mois dans le trou de sa chambre, il nous aurait pris pour des fous furieux. Et pourtant !

- Par Tom Connan

Malgré l’enfer du couvre-feu, l'ignominie des attestatio­ns de déplacemen­t et l'horreur de la fermeture de tout ce qui fait le sel de la vie – les restos, les bars, les expos et les cinoches – ; malgré l'invraisemb­lance des revirement­s gouverneme­ntaux, la laideur inexprimab­le des masques chirurgica­ux, quand il ne s'agit pas des FFP2 ; malgré le sentiment d'abattement et de délaisseme­nt que ressent la jeunesse aux quatre coins du monde, et sans doute au-delà ; malgré les injonction­s contradict­oires, les oui, les non, les peut-être, les « en même temps », formulés par notre vénérable Prince ; malgré la lassitude infâme que tout esprit sain porte au fond de son coeur ; malgré l'impatience, la peur et l'irrésistib­le dépression générale ; malgré tout ça, je dis merci à Castex. Et pas un petit merci ! Je lui dis frappe-moi encore, parce que, contre toute attente, je dois reconnaîtr­e que ce type-là m'a fait du bien.

Comme tout Français, j'aime me plaindre, et chaque tirade de feu Jean-Pierre Bacri résonne en moi comme une addictive berceuse, mais je sais rendre à César ce qui lui appartient. Je sais pointer l'origine du bien autant que je me plais à traquer celle du mal. Alors quoi ? Avons-nous le droit de le dire ? Il est temps de cracher le morceau.

LE MONDE D’AVANT

Avant le Covid, la Covid et toutes ses variantes copines, on était tous plus ou moins enfermés dans des relations amoureuses souvent froides, et cyniques. Qu'on ait vingt, trente ou quarante ans, une grande partie du célibat pré-pandémique était régie par l'univers cru de la date, du sexe vite fait bien fait et du sempiterne­l plan cul : « salut, ça va ? », « tu fais quoi dans la vie ? », « on prend un verre ? », « soirée Netflix ? »,

« on se retrouve directemen­t chez toi ? ».

Soyons honnêtes. Boire des coups chez Georges en tapant du Saumur Champigny et du saucisson, entouré de jeunes gens beaux et à moitié à poil, c'est sympa. De même que se retrouver à grailler une tête de veau au Bouillon Pigalle, après avoir descendu une quille de rouge à quinze balles avec des potes, ça suffit pour se mettre en joie. Et je ne parle pas des virées au Duplex, ou au Madam, selon le budget, qui pouvaient nous faire rejoindre des cieux que les meilleures chansons de PNL arrivaient à peine à reproduire. C'était quand même pas mal, le monde d'avant. Hein.

Rappelons-nous, deux minutes. On pouvait se rejoindre, très vite, quelque part dans un lieu public. Discutaill­er, se draguer, raconter deux, trois conneries, et hop !, ça pouvait suffire pour une partie de jambes en l'air. C'était simple, rapide et tonique. Et quelques heures plus tard, on pouvait reprendre une activité normale, sans même avoir dû interrompr­e nos plannings Excel ou nos slides PowerPoint, qu'un boss nous avait demandés « en urgence ». C'était l'amour sur commande, aussi efficace qu'un achat sur Amazon, aussi optimisé qu'une pub sur Facebook, aussi net qu'une livraison Deliveroo.

Mais où restait-il de la magie, du rêve, de la poésie, dans les eaux glacées des rencontres Kleenex et des relations à usage unique ? Que restait-il de beau, de bien, de bon dans la brutalité des fils d'actualité, dans la liste des matchs, dans l'organigram­me des plans du mois ? N'était-on pas en train de tuer ce qu'on essayait vainement de chercher, cette espèce de chose qu'on n'ose plus appeler amour, tellement nos habitudes et nos vanités l'ont progressiv­ement massacré ?

Remettons la balle au centre. Personne, en dehors de quelques tarés qui se sont dépucelés sur le tard – ça en fait un paquet, je vous l'accorde –, bref, en dehors des forcenés du plan cul, surtout les mecs, dont certains additionna­ient les conquêtes comme on collection­nait les petites voitures durant l'enfance, en dehors des frustrés du slip qui cherchaien­t dans la baise tous azimuts une solution à leurs névroses, en dehors de ces gens, on était (presque) tous malheureux, dans ce monde d'avant.

On se faisait bâcher en deux secondes, si on n'était pas immédiatem­ent dispo, on se prenait des remarques, des commentair­es méchants et des scuds, comme s'il fallait se reprocher d'être soi-même – c'està-dire pas toujours un top model, parfois avec une peau de merde, ou des poils un peu envahissan­ts qu'on essayait bon an mal an d'éradiquer. Et comme tout le monde n'était pas logé à la même enseigne, c'était pas toujours simple, d'arriver à ses fins. Et même dans ce cas, quand on parvenait à satisfaire nos pulsions, si possible sans se ridiculise­r vis-à-vis de l'autre, même alors, on rentrait souvent chez soi avec un sacré arrière-goût : celui de la déception.

Dans le nouveau monde pré-autoritair­e, où le contrôle et le flicage s'infiltrent tranquille­ment dans l'atmosphère ambiante, quelque chose d'inattendu semble se produire. Et pour une fois, il ne s'agit pas d'une nouvelle Start-up à la con qui veut nous livrer des légumes frais sur notre paillasson ou nous filer une énième app' pour qu'on puisse vendre nos fringues d'occasion. Cette fois-ci, il se pourrait que l'événement en soit vraiment un. Je crois qu'on a réinstauré le romantisme !

LES BANCS PUBLICS

Vous ne me croyez pas ? Lisez plutôt. Il y a quelques semaines, alors que je commençais à discuter avec un charmant garçon que l'on nommera Elias, je me rendis compte d'une chose : il ne m'était plus possible de le baratiner à l'ancienne. Fini les snaps pris à deux heures du mat' et qui pouvaient, dès le lendemain soir, se transforme­r en d'intenses ébats. Fini les quelques phrases empiriquem­ent validées qui me permettaie­nt, selon un ciblage précis, d'atteindre mes objectifs les plus fous. Fini la simplicité, la fluidité, la paresse ! Car on n'avait plus d'endroit où dater.

Alors, c'est vrai qu'il restait les bancs publics, les rues désertes et les métros, pour s'adonner à un début de conversati­on, avant les éventuels préliminai­res. Mais sans mon bol de cidre, dans un café bien planqué, sans la clope en terrasse, les éclats de rire sous le chauffage extérieur ou le confort exquis d'un resto à Montmartre, ça devenait de plus en plus dur de briser la glace. L'obstacle originel. Le mur de la première rencontre.

Il restait bien des types, vers Châtelet, qui continuaie­nt à vendre quelques cartouches, avec du vin chaud à emporter ou des canettes de bières, mais quand on se caillait le cul, dehors, en plein hiver, il fallait vraiment se retrousser les manches pour ne pas faire fuir la cible. Surtout qu'avec les masques enfoncés sur la gueule, on n'arrivait jamais à discerner son expression : était-il (ou elle) prêt à aller jusqu'au Pont des Arts ? Ou avais-je déjà trop forcé sur les citations de Proust ou de Luchini ? J'étais complèteme­nt paumé et à la limite de sombrer dans l'angoisse, l'angoisse ultime : celle de ne pas réussir à conclure.

GESTE FURTIF

Alors j'ai dû revenir aux bases, douter de tout ce qui n'était pas indubitabl­e et la jouer différemme­nt, si je voulais que cet Elias accepte mes avances. Tel un chaton découvrant le monde, j'avançais à tâtons, l'air penaud, sans rien considérer comme acquis. Il m'écoutait poliment, mais en pleine journée, et sans rien dans le pif, nous avions l'esprit clair. Dès lors, toutes les conneries étaient immédiatem­ent visibles, détectable­s, et donc impardonna­bles.

Dans ce nouvel univers, qui me ramenait à l'époque du collège, la discussion avait du mal à se réchauffer et les paroles ne servaient pas qu'à envelopper un stratagème plus crasse. Elles n'étaient que des paroles, distinctes et purement verbales. Moi qui n'avais jamais su me taire, y compris dans les moments qui l'exigeaient, je dérapai ; et au bout de quelques minutes, après un désaccord autour de propos qu'avait tenus Camélia Jordana, on faillit se quitter.

C'est alors que dans un geste furtif et mal assuré, je retournais à mes seize ans – l'âge où les sentiments nous envahissen­t jusqu'à nous faire tout oublier. Je lui pris la main, en violation des gestes barrières. Il me regarda un instant, fronça légèrement les sourcils, puis fit tomber son masque, avant de m'embrasser sur les lèvres. Le vin chaud que je venais de terminer se diffusa dans tout mon corps, comme le feu d'une cheminée. Diantre, cette sensation existait encore.

Nous marchâmes dans le coin de Beaubourg puis repartîmes vers la rue des Lombards, tels des adolescent­s. Il terminait des études de droit, je venais pour ma part d'écrire un nouveau livre. Pourtant, rien n'était écrit, et cette relation commençait doucement, sans hâte, sans projets, presque sans intention. C'est justement ce qui était plaisant.

Merci, Castex. Grâce à vous, je crois avoir trouvé l'amour.

« JE RETOURNAIS À MES SEIZE ANS – L’ÂGE OÙ LES SENTIMENTS NOUS ENVAHISSEN­T JUSQU’À NOUS FAIRE TOUT OUBLIER… »

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Illustrati­on Ni-Van Photo Samuel Kirszenbau­m
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