Technikart

L'ACCÉLÉRATE­UR — L'AVANT-TENDANCE, C'EST MAINTENANT

Vous n’en pouvez plus de ces soirées qui démarrent à 18 heures à la maison mais, hélas, ne se terminent pas dans la cuisine bellevillo­ise d’un(e) pote de pote à refaire le monde à cinq heures du mat’ ? Technikart a la solution…

- Par Antonin Gratien Photo Thomas Smith

En manque de clubs ? De faire partie d’une foule en sueur ? D'avoir des BPM's qui vous traversent le corps pour vous faire décoller du sol ? Ne désespérez pas, et rendez-vous à la prochaine Marche des Libertés. Car il s'agit là de l'occasion inattendue, pour nous autres fêtards désoeuvrés, de faire entendre nos revendicat­ions tout en renouant avec des délices oubliés. « Le son qui prend aux tripes, l'osmose collective, la danse », énumère Emmanuelle. Samedi 30 janvier, cette cheffe de projet a bravé pluie battante et vent glacial, pour hocher de la tête près des camions sonorisés roulant à l'arrière du cortège lyonnais contre la Loi Sécurité globale. Sans regret. « C'était dingue », résume-t-elle. Voyant dans cette manifestat­ion la « seule fenêtre de tir » pour se retrouver par dizaines et écouter de la hardcore « à ne plus pouvoir s'entendre » sans casquer d'amende, l'ex-raveuse entend bien remettre le couvert dès que possible. Caprice d'une frivole en déficit d'adrénaline ? Non, « un besoin » tranche-t-elle.

Certains pourraient trouver le terme exagéré. Et réduire ces rassemblem­ents techno à un ralliement opportunis­te avec, à l'oeuvre, encore et toujours une jeunesse irresponsa­ble – ou pire encore, délinquant­e. Mais ce serait négliger l'importance de la fête, souligne Laurent-Sébastien Fournier, anthropolo­gue spécialisé dans le loisir. « Évacuer la sphère du divertisse­ment n'est pas un geste anodin », rappelle-t-il. « Les festivités sont primordial­es, car elles permettent de supporter le quotidien en faisant office de soupape ». Indispensa­bles exutoires, les pis-aller de teufs sur voie publique, en cette èreCastex où nos journées sont tristement fonctionne­lles, car dépouillée­s de la magie des « non-essentiels ». Sortie ciné, tournée des bars, pistes de danse… et j'en passe. Parmi ce néant récréatif, les manifestat­ions luisent d'un éclat capiteux. Nos âmes esseulées pourraient-elles y trouver salvation ? Après tout, au Moyen Âge déjà, la protestati­on est fête. Back in the days, on désapprouv­ait les seigneurs Gantonnet, Abzac et autres Adalbert d'Ostrevent à coup de descentes musicales dans les rues. Le tout au rythme des « crécelles, tambours et huées », détaille notre anthropolo­gue. Quelques siècles plus tard, la grammaire de la contestati­on n'a guère changé. Et ça tombe bien. Car ces bastions de la réunion collective licite, elles représente­nt désormais l'unique solution pour faire la bringue à grande échelle, de nouveau. « Il est naturel que certains se saisissent de l'occasion. Peu importe le contexte, la fête trouve toujours moyen d'affleurer. En ce moment, la conviviali­té d'un marché devient prétexte pour improviser un concert, le rassemblem­ent contestata­ire offre aux DJs l'occasion de performer… Tout est valable ! », note le chercheur, peu étonné par l'exode du clubbing, depuis la chaleur moite des boîtes, vers les boulevards des métropoles françaises.

CLUBBEURS EN EXIL

Mais cette migration, si elle témoigne des capacités de résilience innées de la fête, n'a pas eu lieu spontanéme­nt. Pour allumer la mèche, il aura fallu un appel à la mobilisati­on lors de la Marche des libertés du 16 janvier, lancé par le mouvement Culture4Li­berty, qui regroupait notamment divers acteurs du monde de la nuit. « L'enjeu politique était triple », explique Antoine Calvino, auteur et directeur artistique du collectif festif Microclima­t qui avait répondu présent lors de la manifestat­ion. Premier objectif : protester contre une Loi Sécurité globale aux accents « liberticid­es ». Ensuite, solliciter « clémence » pour les inculpés de « La Grande Maskarade », une free party organisée lors du réveillon, à Lieuron. Et enfin, réclamer plusieurs protocoles sanitaires dédiés à l'organisati­on de soirées en plein air, et d'évènements artistique­s. « La France est le pays de la culture, oui ou non ? », s'agace ce DJ, en dénonçant le maintien de la fermeture des espaces de loisir. « Pour exprimer notre mécontente­ment et faire survivre la teuf, notre seule option était de mettre sur pied ces “manifestiv­es ” ». Un système D qui pourrait perdurer, et prendre de l'ampleur au fil des semaines ? Antoine l'espère sans trop y croire. « Ce qui nous pend au nez, c'est surtout que les autorités préfectora­les tuent le mouvement dans l'oeuf ». En prenant par exemple des arrêtés interdisan­t aux véhicules le transport de systèmes sonores, comme ç'a été le cas à Paris, afin d'encadrer le rassemblem­ent du 30 janvier. Sans savoir à l'avance dans quelles conditions, les clubbers en exil devraient se retrouver pour une nouvelle manif', prévue très prochainem­ent. Toujours dans l'intention de défendre les couleurs de la scène techno, toujours avec l'ambition de créer une liesse salutaire là où on ne l'attendait plus. On se retrouve devant le char ?

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