PEU OU PROUX
Le Versaillais Laurent Proux expose ses deux dernières séries, « Têtes » et « Dans la forêt », à la galerie Sémiose, fraîchement installée dans l’ancien lieu d’Agnès b., rue Quincampoix. À visiter avant 18 heures.
Première pièce, une série de têtes trop grosses, disproportionnées, dans un tout petit cadre, juste posées dans l’herbe, ciel en trame de fond. Une calvitie qui s’étale en gros plan devant un ciel orageux, un visage déshumanisé dont les traits auraient glissé pour aller s’incruster sur les brins d’herbe. Quelques pas plus loin, on s’arrête finalement devant « Dans la forêt », rencontre des corps entre agression et sensualité dans une série composée d’une unique huile sur toile grand format (200x180 cm).
Proux ? Un idéaliste singulier, passé par les bancs des BeauxArts et l’école de l’abstraction, « un romantique dans son rapport à
l’art », qui, mi-blague mi-confidence, affirme penser que celui-ci « peut sauver le monde ». Avec ses peintures réalistes à la dimension grotesque et sociale, dans lesquelles pointent des notes fantastiques, presque oniriques, Laurent Proux nous amène sur le terrain de l’altérité et nous fait explorer les limites. Entre l’abstrait et le figuratif, la nature et l’humain, le merveilleux et l’obscène. Visiblement imprégnés de l’oeuvre de Philip Guston, les tableaux oscillent entre le figuratif et le très fragmenté, à la Nicole Eisenman.
ARCHITECTURES UTOPISTES « On a un rapport très numérique et très virtuel au monde, et faire une exposition sur le simple fait de mettre la tête dans l’herbe,
ça a une dimension politique », explique l’artiste. Couleurs parfois criardes, brutales, presque repoussantes, parfois plus douces, dans des mi-tons, le tout dans un mélange d’anarchisme et de violence un peu dilué par une lumière qui auréole l’ensemble : dans les toiles de Proux, les couleurs retrouvent leur charge émotionnelle. Figures usées, qui, par distorsion et géométrisation, basculent dans l’étrange par des choix d’angles inhabituels, on
les contemple d’abord avec retenue, avant de se laisser happer. « On est face à un corps, plus qu’à une personne. Par rapport à une
personne, on a forcément un rapport de genre, racial... » Un regard neutre, alors ? « Plutôt animal ». Dans le style Robert Combas, les visages se dressent de manière monumentale et nous regardent « un peu comme des Gargantua », mais de manière latérale, donc plus contemplative. Il évoque aussi les architectures utopistes de Lequeu, avec un corps érigé en maison dans lequel « une fois à
l’intérieur, on voit le monde différemment ».
Après avoir longtemps exploré les espaces de production industriels, les usines désertées, taxiphones et bureaux vides inspirés d’une société fragmentée, dans la continuité de son oeuvre, Proux s’attaque à l’après : que reste-t-il quand l’industrie est passée ? Qu’est-ce que nos sociétés gardent en commun ? Le rapport au paysage ? L’herbe, motif récurrent dans les toiles, étendue potentiellement infinie, fait écrin dans une perspective où « l’abstraction existerait de manière un peu existentialiste, avec
l’infini et l’idée d’un objet au centre ».
Avec « Dans la forêt », Laurent Proux affiche son talent pour exprimer l’ambivalence des individus, des objets, des situations. Un décor merveilleux, un univers empreint de sensualité mais « commenté par la mort ». Un récit à la fois sombre et idyllique, obscène et enfantin, à l’exécution ni triviale ni convenue. « C’est le glissement qui m’intéresse. Est-ce qu’on est dans le soin, dans la
cruauté ? J’aime que ça ne soit pas arrêté. » Il cite Bernard Tho
mas : « Il n’y a que les enfants qui vivent dans la réalité, après, on vit dans la littérature. » Ou dans l’art..