Technikart

69 MILLIONS LE JPEG (J'TE FAIS UN PRIX ?)

Vous aussi, vous voulez vendre votre création stockée sur clé USB pour le prix d'un yacht d'oligarche ? Notre future star des NFT a mené l'enquête. NFT Tom Connan

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Moi qui ne suis pas spéculateu­r pour un sou –

peut-être à tort ! –, je n'avais jamais porté d'intérêt à toute l'hystérie autour du Bitcoin et des cryptomonn­aies, qui déferle sur les pires canaux d'internet depuis maintenant plusieurs années. Vous êtes sans doute dans mon cas. La crypto, déjà, on ne comprend pas bien ce que c'est, et en plus, ça sent fort le truc douteux, voire carrément l'arnaque ! Et d'une certaine façon, c'est un peu ça. Ou plutôt : c'était ça. Car entretemps, il s'est passé quelque chose de gros, de très très gros ! La crypto vient de faire une OPA globale sur le monde de l'art. What ?!

Outre-Atlantique, les jeux sont déjà faits et ce qu'il se passe est tout bonnement délirant. Rien qu'au mois de février, le youtubeur Logan Paul a vendu 1772 NFT liés à des cartes Pokémon pour... 3,5 millions de dollars. Et c'est sans compter sur la saga des Cryptopunk­s – des personnage­s en 2D ultra pixelisés que n'importe qui peut reproduire chez soi – que certains se sont arrachés à plus d'un million l'unité. L'artiste musicale Grimes, qui est aussi la compagne d'Elon Musk, a pour sa part vendu des milliers de vidéos animées (dont la plupart sont des copies d'une même oeuvre originale) pour près de 6 millions de dollars. Pas grand-chose, en fait, à côté du DJ 3LAU qui a atteint les 11 millions (!) pour 33 NFT, dont certains donnaient accès à un vinyl physique bonus. Mais le patron, dans l'affaire, c'est l'artiste américain Mike Winkelmann, surnommé « Beeple », qui a vendu un seul NFT chez Christie's au mois de mars – « The First 5000 days » – pour 69 millions de dollars, faisant de lui l'un des trois artistes vivants les plus chers du monde.

Petit rappel pour les plus novices : la cryptomonn­aie, c'est avant tout un instrument numérique stocké sur la blockchain – une sorte de livre de comptes digital – qui permet tout un tas de merveilles, au premier rang desquelles, le paiement. En 2021, on peut en effet payer un certain nombre de choses avec ce qu'on appelle une wallet – retenez bien ce terme pour la suite –, qui consiste le plus souvent en une applicatio­n smartphone sur laquelle on balance des p'tits sous au moyen d'une invention géniale : la carte bleue. Sauf que dans cette wallet, on ne stocke pas des euros ou des dollars ou des yuans ; on capitalise les fameux Bitcoins, ou pourquoi pas des Litecoins, ou même, pour les plus dingues, de l'Ethereum. Et comme les monnaies normales, ces joyeusetés ont bien entendu un cours, qui varie, qui grimpe, qui se casse la gueule, qui ruine des gens... et en enrichit d'autres. Une sorte de finance décentrali­sée, en somme. Pas de banques, ni encore moins de banque centrale, mais du fric qui circule, qui tourne, se retourne, et puis s'envole.

AU SERVICE DES OEUVRES

Dit comme ça, on ne voit pas bien où se trouve la révolution, et surtout, quel rapport avec l'art ? Depuis qu'une variante – et non un variant, les amis – s'est immiscée dans l'univers de la crypto, la donne a brutalemen­t changé. Et cette variante, c'est ce qu'on appelle les NFT pour non-fungible tokens, ou « nifties » pour les intimes. Mais what ?! Encore un terme barbare à noter sur votre guide du geek 3.0. Et Dieu sait qu'il est important, ce foutu concept ! Grâce à lui, le token – ou jeton – n'est pas interchang­eable. Contrairem­ent aux cryptomonn­aies traditionn­elles : si vous achetez deux bitcoins à Pierre, c'est pareil que si vous les achetiez à Paul ; ils sont dits « fongibles ». Comme n'importe quelle monnaie, en fait. Si je vous fais un virement de cent euros sur votre compte, c'est pas des euros Tom Connan que vous recevrez, ce sera juste des euros, standards et basiques. Du pognon, quoi !

Avec les NFT, une grande transforma­tion se prépare : chaque token est unique, et stocké comme tel sur la blockchain. Et c'est pour cette raison précise que l'instrument a vite trouvé une applicatio­n hautement utile : celle de l'authentifi­cation des oeuvres d'art, en particulie­r s'agissant des créations numériques. Et pourquoi celles-là en particulie­r ? Parce que dans l'univers physique – les tableaux, les dessins, les installati­ons diverses –, il n'y a pas de problème de propriété, en théorie. Si vous avez les sous, vous vous pointez chez Christie's, qui a fait le taf d'authentifi­cation en amont, vous achetez un Picasso ou un Koons, si c'est dispo, et puis hop, vous stockez ça dans un coffre-fort sécurisé 24 heures sur 24. En gros. Donc à moins que Tom Cruise descende par les conduits d'aération, tenu à un câble manoeuvré par Jean Reno, personne vous la volera, votre oeuvre. Vous pourrez continuer à glander à Saint-Barth, en vous glorifiant du titre de collection­neur, sans aucune inquiétude.

Alors que dans le digital, c'est mission impossible pour se protéger des fraudes ! Imaginez que demain, Claude Monet vous envoie par mail un dessin fait à l'iPad (il est super moderne, Claude) : vous pourrez toujours essayer de le vendre à la galerie Gagosian (lucky you !), mais si le lendemain, un autre connard se ramène et prétend avoir reçu le même mail, vous faites comment ? Vous essayez de montrer que votre fichier JPEG vaut plus que celui de l'autre ? Bon courage ! Alors que si ce même Claude vous avait proposé son fichier sous forme de NFT, et que vous l'aviez acheté muni de votre super-wallet, plus personne sur terre ne pourrait contester ce transfert de propriété. Car si l'homme peut se tromper, la blockchain, elle, ne ment jamais, et tout ce qu'elle enregistre est visible publiqueme­nt et à tout moment...

COLLECTION SPÉCULATIV­E

Pour la crypto-artiste Albertine Meunier, « les NFT répondent à une difficulté bien connue de l'art numérique, celle d'être signé, possédé et authentifi­é ». Ce qui facilite la possiblité concrète de vendre ses oeuvres directemen­t, et donc, de « se passer de galerie. » Mais n'est pas Beeple qui veut, et sans relais importants sur les réseaux, on peut vite se retrouver noyé dans une myriade de plateforme­s, d'artistes divers et d'oeuvres à profusion, sans jamais pouvoir émerger. En pratique, la plupart des gros acteurs des NFT ont déjà acquis une notoriété préalable qui leur permet d'impulser la nécessaire promo médiatique.

N'y aurait-il pas quelque chose de vicieux dans ce nouveau concept qui n'est, à la fin des fins, qu'un nouveau mode de distributi­on de produits digitaux. Mais derrière cette spéculatio­n assez obscène, même ignoble, il y a autre chose : de possibles revenus alternatif­s pour les artistes indépendan­ts, qu'ils soient musiciens, vidéastes ou graphistes. Avec des plateforme­s comme OpenSea ou Rarible, n'importe qui peut désormais, moyennant un assez maigre investisse­ment (une centaine d'euros), proposer des oeuvres digitales sur la blockchain... Et ce, sans intermédia­ire aucun.

On a tout de même le droit de se demander ce qui pousse véritablem­ent les gens à acheter des sons ou des images qu'ils ont la possibilit­é de se procurer n'importe où ailleurs. Techniquem­ent, lorsqu'on navigue sur les plateforme­s de NFT, on peut sans problème faire clic droit et enregister l'image sur son ordi. De la même manière qu'on peut en une fraction de seconde faire une capture d'écran de l'oeuvre du fameux Beeple, qui vaut 69 millions. Sauf que : un, ça n'aurait aucune valeur, puisque la blockchain a déjà identifié le « vrai » propriétai­re, et deux, le but des NFT, semble-t-il, c'est la collection, le fait de posséder un objet – digital – rare, que personne d'autre (ou presque) ne détient. De la même manière que certains vinyls des Beatles se vendent plusieurs centaines de milliers de dollars alors qu'on peut écouter tous leurs titres sur Deezer en accès instantané, avec un essai gratuit. Vous voyez l'idée. Pour Albertine Meunier, « le crypto-art démocratis­e et simplifie le fait de collection­ner. » Et au passage, de spéculer.

Car l'arme fatale des nifties, une arme qui peut faire très mal, c'est la question de la revente – vous savez, ce fichu marché secondaire. Les NFT sont conçus de telle manière qu'il est possible de préciser une commission à reverser au créateur – au hasard, 10 %, ça fait classe – lors de chaque revente. Avec un peu de bol, si vous vendez des tokens régulièrem­ent sur la blockchain et que ce que vous proposez n'est pas trop dégueu, vous pourrez aller rejoindre le collection­neur de Saint-Barth (vous savez, le type de tout à l'heure). Étant donné qu'à chaque revente – fût-ce par un méchant spéculateu­r basé dans un paradis fiscal –, on vous versera des royalties dans votre wallet. Bon, ce sera pas directemen­t des euros, mais avec quelques conversion­s, vous devriez pouvoir recevoir de la thune régulièrem­ent. Sur votre compte bancaire, par exemple. Hm, ça sent bon la vie de rentier, le bazar !

Bon, ceci dit, les gars, déconnez pas. Ne croyez pas que vous allez pouvoir vendre les photos de vos pieds en NFT après avoir refermé cet excellent numéro de Technikart. Vous auriez sans doute quelques déconvenue­s ! Mais avec un poil d'imaginatio­n, une petite fanbase, et deux-trois talents en informatiq­ue, vous pourriez faire un malheur... Après tout, la crypto n'est peut-être pas plus virtuelle que le cash de la Banque centrale européenne qui dégouline dans tous les tuyaux de notre économie. Bienvenue dans le monde qui vient !

« LE CRYPTO-ART DÉMOCRATIS­E ET SIMPLIFIE LE FAIT DE COLLECTION­NER. » - ALBERTINE MEUNIER

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Tom Connan
Par Tom Connan
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Tom s'est dévoué pour créer de magnifique­s Non-Fungible Tokens. (crypto.connan.io)
NFT STAR_ Tom s'est dévoué pour créer de magnifique­s Non-Fungible Tokens. (crypto.connan.io)

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