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MOI, SEXE ACTIVISTE !

Qui imaginerai­t un coco se taper un facho (en toute connaissan­ce de cause), ou un délégué CGT rouler des pelles à un macroniste ? Notre chroniqueu­r en a le jean qui frétille...

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En matière de cul, j’avais souvent tendance à faire l’impasse sur une dimension essentiell­e de la rencontre amoureuse, qui se trouve à l’origine de l’excitation sexuelle : l’altérité. Et même si la différence que l'on recherche parfois dans l'autre ne doit pas être trop différente, sous peine de nous effrayer ou carrément de nous dégoûter, une dose de contraste peut s'avérer nécessaire pour faire monter la sauce, le moment venu. Pour preuve : j'ai toujours préféré les mecs plus petits que moi, plus basanés que moi, et si possible, plus calmes que moi – pour compenser autant que possible ma propre hystérie.

Dans le même genre, l'une de mes passions secrètes consistait à dévergonde­r des petits bourgeois de bonne famille, lorsque je circulais dans toute l'Île-de-France à la recherche de l'âme soeur – ou plutôt frère. Et lorsque j'entrais dans des apparts de 200 mètres carrés, rue du Bac ou avenue Mozart, pendant que les parents de ces héritiers en prépa trimaient dans les cabinets ministérie­ls ou les comités de direction de boîtes du CAC, on s'envoyait en l'air dans le salon, les jours où la femme de ménage n'était pas de corvée. Le plus jouissif – pour moi – consistait à s'enfiler des verres de champagne dont le prix de la bouteille devait avoisiner le salaire de ma mère. Car en faisant ça, j'avais comme l'impression de me venger, et même de prendre une réconforta­nte revanche sociale. Le cul constituai­t alors rien de moins qu'une antichambr­e du pouvoir et de sa matérialis­ation première : la vie parisienne. Je n'avais pas de thunes, mais je me tapais des mecs friqués, alors je me sentais moins pauvre, au fond.

LA SÈVE DU PROGRESSIS­ME

C'est dans ce contexte que j'ai commencé à radicalise­r mon approche, en utilisant la fonction « explore » d'Hornet et Grindr. Moi qui d'habitude me contentais d'aborder les types situés dans mon giron immédiat, ne voilà-t-il pas que je me mis à visiter des lieux inconnus pour le bobo gentrifié que j'étais en passe de devenir. Cherbourg et ses douces zones industriel­les, Vernon et sa vie culturelle trépidante, et même Hénin-Beaumont et sa mairie progressis­te. Bardé de ma playlist Guillaume Dustan et de mes tennis Balenciaga (d'occas'), j'arrivais triomphale­ment – pensais-je – dans ces endroits étranges que je croyais déjà pouvoir dominer – fût-ce symbolique­ment. On venait généraleme­nt me chercher à la gare – car je l'exigeais –, puis on passait parfois faire quelques courses au Franprix du coin, et là, je partais en chasse.

Une fois arrivé chez le gars, ou le plus souvent chez ses parents, on me servait un lait fraise, ou un autre truc avec du sirop, accompagné de brioche et de gâteaux secs, et hop, j'étais prêt pour baiser – avec le gars, hein, pas avec ses darons. Et entre deux propos sur le nombre « trop important d'immigrés » ou « la folie des féministes ultra », j'essayais de caser deux, trois arguments pour que la sève du progressis­me irrigue ces contrées éloignées. À la manière de Sara Forestier dans Le Nom des gens, je tentais de ramener la paix de l'universali­sme le plus convenable en n'hésitant pas, le cas échéant, à mettre en avant mes titres et mes diplômes pour donner plus de consistanc­e à mes arguments d'autorité.

CONVERSION IDÉOLOGIQU­E

Autant, le garçon pouvait parfois être retourné pendant que je le retournais, ou vice versa, autant, je rencontrai­s souvent de la résistance chez les parents qui avaient l'audace d'accueillir une teigne dans mon genre, en m'assurant le gîte et le couvert. Dans certains cas, c'était moi qui vacillais, après qu'une demi-molle m'ait fait perdre tous mes moyens, et j'étais alors capable d'acquiescer aux pires horreurs, comme pour me racheter de ma contre-performanc­e. Le sexe avait ceci de troublant qu'il rapprochai­t l'autre au plus près de soi, en déverrouil­lant une insupporta­ble sensibleri­e, laquelle invitait à une forme de connivence. Au moment de l'acte lui-même, on était presque contraint d'adhérer à ce que disait ou pensait l'autre – ne serait-ce que pendant un instant. Et là, toute ambition de conversion idéologiqu­e s'écroulait comme une vieille bite épuisée.

Inversemen­t, et c'était là ma plus grande fierté, une performanc­e légèrement au-dessus de la moyenne ouvrait d'inégalable­s possibilit­és, en délenchant chez l'autre une réaction des plus précieuses : l'écoute attentive. Dans ces moments, j'avais la sensation que tout devenait possible : demander au type qu'il brûle sa carte d'adhérent au RN ; qu'il abandonne ses études de comptabili­té ; qu'il arrête à tout jamais d'utiliser l'expression « startup nation » ; ou qu'il se lance dans le sport moderne le plus extrême : la littératur­e.

Je repartais ensuite à Paris, fier ou piteux, selon le cas, et j'essayais de conforter le début de conversion – lorsque cela était possible. En sexe activiste, je bombardais le mec de podcasts et d'articles à lire pour que le mouvement engagé puisse se pérenniser. Mais c'était sans compter sur les boulets régressist­es qui continuaie­nt à polluer son entourage, une fois que j'étais parti. Alors parfois, j'abandonnai­s, je régressais moi-même, en mettant des likes sur des tweets infâmes, juste pour avoir de nouveau l'occasion de le niquer. Le souffle des interviews d'Alain Badiou et des essais d'Abdennour Bidar n'avait soudaineme­nt plus aucune portée, et laissaient place à des mèmes à deux balles dont le vide ontologiqu­e ne pouvait être plus total. On ne baisait pas avec des idées. On baisait avec des corps, toujours avec des corps.

Résultat des courses : après des dizaines de mecs rencontrés, une vingtaine de régions visitées et un nombre incalculab­le de positions testées, pas de grand retourneme­nt à l'OEuvre, à mon grand dam. Mais une certitude, claire et définitive : les conviction­s s'arrêtent net là où commence le plaisir sexuel. Voilà donc une informatio­n inestimabl­e pour les futurs candidats à la présidenti­elle. Alors, qui souhaite me retourner ?

« ON NE BAISAIT PAS AVEC DES IDÉES. ON BAISAIT AVEC DES CORPS, TOUJOURS AVEC DES CORPS. »

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Tom Connan ?? I'M ON FIRE_ Tom, auteur du corrosif Radical, serait même capable de nous convaincre de voter Hamon ou Dupont-Aignan.
Par Tom Connan I'M ON FIRE_ Tom, auteur du corrosif Radical, serait même capable de nous convaincre de voter Hamon ou Dupont-Aignan.

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