LE PARRAIN DE LA POP
INTERVIEWEUR POLITIQUE DANS CE MAGAZINE, BERTRAND BURGALAT REVIENT AVEC UN NOUVEL ALBUM NON-ALIGNÉ – NI CHANSON, NI POP, ET SURTOUT PAS EASY LISTENING (MERCI). QUELQUES-UNS DE SES AMIS ET ADMIRATEURS NOUS AIDENT À Y VOIR PLUS CLAIR DANS LA VIE ET L’OEUVRE DU DANDY ÉTERNELLEMENT MAL COMPRIS.
Le morceau phare du nouvel album de Burgalat, c’est sans doute « L’Homme idéal », un titre aussi goguenard que funky qui serait un tube si on vivait encore dans la France de Nino Ferrer ou Jacques Dutronc. Mâle hétérosexuel blanc et de plus de 50 ans, qui plus est fils de préfet et habillé en bourgeois bien dans ses mocassins, Bertrand doit-il être balancé ? Il n'a pas vraiment le profil de l'oppresseur. Sa musique, délicate, n'est pas du genre à nous sauter dessus. Quand il revient avec de nouvelles chansons, nos oreilles sont consentantes. Il préfère rassurer lui-même les plus méfiants : « Jamais n'ai-je tenté de harcèlement / Ici on fait de l'art, seulement. »
Du grand art serait plus juste. Très réussi, Rêve capital s'inscrit dans la lignée de son précédent disque, Les Choses qu'on ne peut dire à personne (2017). Une pop fine et contemplative, moins dansante que Toutes directions (2012). Contrairement à la plupart de ses confrères, Burgalat est attentif aux paroles, qui chez lui signifient quelque chose. Les noms des chansons sont irréprochables (« Retrouvailles », « Spectacle du monde », « Sans accolades », « Correspondance »…) et le fond suit. Quant à la forme, pour tous ceux qui attendent de la pop qu'elle n'insulte pas leur intelligence mais ne flatte pas non plus leur snobisme, ça reste un graal : des mélodies sensibles et accrocheuses, des arrangements soignés, un son de basse qui relèverait Gainsbourg d'entre les morts, etc. Reste à éclaircir un point, qui divise autant les familles que l'affaire Dreyfus : la voix. Certes, notre homme n'a pas le coffre de Bruce Springsteen. Mais est-ce qu'on a encore envie d'entendre beugler des brutes, en 2021 ? Il faudrait savoir. Ce phrasé singulier a son charme, comme les bégaiements de Modiano. C'est la définition même d'un style que d'être unique, et si une chanson de Rêve capital a pour titre « Vous êtes ici », il est toujours aussi difficile de géo-localiser Burgalat sur la scène actuelle – à la fois au-dessus et ailleurs, il reste à jamais inclassable.
L'an dernier, ce grand hyperactif avait composé la splendide BO du documentaire De Gaulle bâtisseur. Entre Paris, son studio pyrénéen et Colombey-les-Deux-Synthés, lui aussi a construit une oeuvre qui en fait aujourd'hui le général discret d'une certaine musique alternative française. Quelques fidèles lui rendent ici hommage. Retour à la case départ et à « L'Homme idéal ». Burgalat y chante : « Des projectiles m'ont fendu l'occiput / Des choses qui arrivent dans les disputes. » Qu'il se rassure : aucune assiette, chaise ou fourchette ne traverse le salon dans les témoignages qui suivent.
Son album Rêve capital sort le 11 juin (Tricatel).
« IL A CRÉÉ QUELQUE CHOSE, DANS L’UNIVERS DE LA POP FRANÇAISE, QUI RESTE INÉGALÉ. » _ BARBARA CARLOTTI