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LE SALE EST-IL LE NOUVEAU SEXY ?

- Par Léontine Behaeghel Photo Marius W. Hansen (Paperboy)

BERTRAND USCLAT

Certains signes ne trompent pas : ma copine Iman s’est mise à vendre ses culottes sales, des tonnes d’influenceu­ses parlent de leurs cures de sébum sur Insta (un mois sans se laver les cheveux pour les nourrir et les réparer), et ce beau jean blanc sali par David McKendrick, l’estimé ex-DA du Esquire

UK, pour son fanzine de luxe, Paperboy... Du classe au crade, il n'y a qu'un pas. En ce moment, les sites de vente de culottes sales se concurrenc­ent, les comptes insta Onlyfans dérapent, les chaussures puantes partent en Colissimo dans tous les sens. Ongles coupés, eau de bain usagée, pyjamas ou draps sales : tout est bon à prendre pour faire du business. Le dirty semble être bien en vogue. Bientôt les masques porteurs de Covid en vente sur Vinted ?

« Il y a de plus en plus de sites et de gens qui pratiquent ça, nous explique Paul, créateur de Vends ta culotte, site dédié à la vente de culottes sales entre particulie­rs. On constate que ça augmente constammen­t, et cette année encore plus, notamment avec les confinemen­ts. » Attirant ou répugnant ? Sur cette plateforme, les chiffres explosent. Et combien peut-on gagner par mois en tant que vendeuse sur le site Vends ta culotte ? « Ça peut aller de trente à une centaine d'euros par culotte… Le record absolu, c'est une vendeuse qui avait empoché 15 000 euros en un mois », nous apprend Paul. Star de la culotte sale est donc un vrai métier. Marketing sexy, efforts de présentati­on, petit mot dans le paquet… Il faut soigner son affaire.

Au-delà du business, il y a une véritable dirty-philosophi­e. Le sale se vend depuis peu ; pourquoi ? « Accéder à l'intimité d'une femme est quelque chose de plus en plus compliqué et je constate sur le site que tout le monde n'est pas un écrivain célèbre ou un présentate­ur télé, il y a beaucoup de mecs qui galèrent et qui n'osent plus aborder les femmes, poursuit Paul. En plus, avec le confinemen­t, on ne pouvait plus rencontrer… La culotte sale symbolise leur accès à l'intimité d'une femme. » Une odeur un peu crasse pour se sentir mieux, un morceau de tissu pour frôler du bout des doigts un fragment de femme. Les (très) timides passent commande et celles qui veulent arrondir leurs fins de mois sans trop d'efforts y trouvent leur compte. Le business de la culotte sale met tout le monde d'accord. « Il m'a demandé de le porter plusieurs jours, je me suis contenté d'une nuit et c'est passé. Ensuite j'ai rencontré le mec et il m'a donné 100 euros, nous confie Oscar, ayant récemment vendu des caleçons sales. C'est tellement de l'argent facile que je me suis demandé : pourquoi passer à côté ? »

Certes, le confinemen­t a été propice au développem­ent du biz : tous les vices et fantasmes ayant été décuplés et s'additionna­nt à la frustratio­n et à la simplicité de la démarche d'achat sur internet, c'est naturellem­ent allé crescendo… Mais au-delà d'une simple donnée logistique, ne sommes-nous pas en train de pénétrer dans l'ère du sale ?

VIE PALPITANTE

Après être tous devenus de véritables psychopath­es de l'hygiène, nous apprêtons-nous à devenir des monstres putrides ? À chaque répression sa crise d'adolescenc­e, c'est bien connu... Eh bien, nous y sommes. « La normalité consistera à faire un excès dans cette direction du sale, affirme le philosophe Michel Dupuis. C'est un modèle de pulsion contre pulsion. On a tellement été contraints dans une certaine direction qu'on doit se lâcher. C'est une façon de réhabilite­r la naturalité que nous sommes, et du côté d'un sale visqueux et collant, plutôt que d'un sale sec. On pourrait considérer que ceux qui rêvent d'être sales sont des déviants... Nous avons besoin de mouvements de pensée qui nous rappellent que c'est profondéme­nt humain, surtout en ce moment, de vouloir habiter le sale. »

Tendance trash que l'on retrouve également dans la mode ; les tâches sur votre jean blanc faisaient dégueu ? Rassurez-vous, en plus de devenir fashion, vous les brandirez comme symboles de votre vie palpitante. Optez pour la tâche de vin afin de maximiser l'ostentatoi­re du fun. Après la (trop longue) ère des trous de jeans de skaters, nous pénétrons dans celle des taches de liquides salissants. Lorsque j'interroge Paul sur le boom du sale post-Covid, nous comparant à des gamins révoltés face à la répression parentale, il me dit : « J'aimerais bien que les gens soient un peu rebelles ! Ça me ferait plaisir qu'ils ne soient pas les victimes d'une dictature sanitaire. » Le sale comme signe de résistance, de folie, de sauvagerie… Notre conseil : Si le jean blanc fait son come-back, n'oubliez surtout pas de l'assortir avec une ou deux tâches d'encre. Merci qui ? Merci bibi.

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