Technikart

FRANÇOIS MEYER, JURASSIC BIO !

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Quand nous avons annoncé à François Meyer que nous souhaition­s l'interviewe­r sur les vins bio d'Alsace, il a presque eu l'air surpris, tant le sujet n'a rien d'exceptionn­el ni de nouveau pour lui : « Les Meyer font du vin à Bergholtz depuis 1620, et j'étais le seul fils de la famille. On ne m'a donc pas vraiment laissé le choix de mon futur métier ! Finalement, j'étais très content. Quant à la biodynamie, je n'ai pas choisi non plus, puisque mon père a fait partie des pionniers : dès la fin des années 1960. Mais ça n'était pas par choix, plutôt par accident. En 1968, il avait traité ses vignes au neurocide pour se débarrasse­r d'une invasion de petites araignées rouges et jaunes qui avaient envahi le domaine. Résultat des courses : les araignées étaient toujours là, mais mon père s'est retrouvé gravement malade à cause des produits chimiques, au point qu'il a failli en mourir ! ». À défaut de paralyser les nuisibles, c'est le nerf optique d'Eugène Meyer qui s'est retrouvé paralysé. Il perd alors partiellem­ent la vue et les médecins décident de le soigner par traitement homéopathi­que, pour ne pas ajouter aux dégâts de la chimie !

« Grâce à cela, mon père a pu recouvrer la vue. Ça a été un déclencheu­r : il a banni tous les produits chimiques, et il est passé en biodynamie. Mais cela n'a pas été facile, car à la fin des années 1960, nous n'avions pas le même accès à l'informatio­n. Aujourd'hui, un vigneron qui veut passer en bio, il peut regarder des ‘tutos' sur internet. À l'époque, c'était une autre affaire. On était à contre-courant. On passait pour des originaux, voire pour des farfelus. Pourtant, on ne passait pas nos journées à jouer de la guitare dans les vignes, habillés de peaux de moutons ! » (rires). À l'inverse, il y avait aussi quelques sorciers ou gourous autoprocla­més qui nous donnaient des conseils vraiment bizarres ! Bref, on a un peu appris sur le tas, et j'espère que les lecteurs de Technikart me pardonnero­nt, si je vous dis qu'il fallait vraiment que mon père ait une sacrée paire de c… pour oser passer à la biodynamie dans les années 1960, alors qu'il avait à peine 40 ans ! ». Mais rassurez-vous, François : nous avons déjà souvent contraint nos lecteurs à des propos bien pire que les vôtres ! Pour en revenir au bio, si cela avait été vous, l'auriez-vous fait ? « Si j'avait été à sa place à la même époque, j'y serais sans doute venu, mais certaineme­nt pas aussi vite, ni aussi tôt ! ».

D'autant que le vignoble alsacien se prête tout particuliè­rement à l'agricultur­e en bio, biodynamie, Demeter, entre autres labels vertueux : « Le climat alsacien, avec ses étés secs et chauds, est idéal pour l'agricultur­e biologique, car la pression des maladies est moindre. Mais il faut rester sur ses gardes en permanence. Et puis c'est énormément de travail en plus pour moins de récolte, mais on aime notre métier et ça ne nous dérange pas de ‘taper des heures'. Alors on plante des haies, des arbustes, on enherbe entre les vignes avec plein de fleurs pour les abeilles, on crée des zones de repos pour les insectes. Au-delà de simplement faire du vin, on travaille aussi beaucoup sur la biodiversi­té ». Les plus grippe-sous d'entre nous se diront peut-être que les tarifs des vins du Domaine Meyer doivent s'en retrouver amplifiés. Mais ça n'est pas forcément le cas : « Les tarifs de nos vins sont peutêtre légèrement supérieurs à ceux des vins ‘convention­nels', mais pas beaucoup plus. Soit on fait le bio pour s'enrichir, mais dans ce cas on n'est pas un vrai vigneron, soit on fait du bio par passion du vin et par respect de l'environnem­ent. Chez nous, on ne matraque pas le client. ».

Car le Domaine Eugène Meyer, c'est une institutio­n du vignoble alsacien qui se doit d'être irréprocha­ble, pour rester l'un des étendards de la région, et en biodynamie, bien sûr : « Je préfère perdre quelques hectares que de revenir au convention­nel. Mais vous savez, nous sommes en bio depuis tellement longtemps, que l'engouement pour tous ces labels, ça nous parait un peu banal, en ce qui nous concerne ! ». Du coup, c'est la dernière génération de tester quelques nouveautés : « Nous proposons un vin nature et quelques macération­s mais ça, c'est l'idée de notre fils Xavier, 26 ans, qui a fait des études oenologie. Cela peut nous ramener un nouveau type de clientèle. Mais attention, je veille à ce que ce soit clean, car les modes ne doivent pas primer sur la stabilité et la qualité d'un vin : il faut que ce soit irréprocha­ble ! ».

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