EN DIRECT D'AVIGNON OÙ MANGER DE L’ART CONTEMPORAIN ?
Au pied de l’imposant Palais des Papes à la pierre beige baignant au soleil cuisant, La Mirande se tient là, comme une mère attendant à bras ouverts le retour de ses enfants sur le pas de sa porte. Le plafond en poutre de bois du salon rappelle un style médiéval chaleureux qui se confronte naturellement au style Second Empire de la salle Napoléon III. Je ne suis jamais allée en Italie, pourtant, la terrasse habillée de verdure, le sol en pierre et les draps blancs cachant le soleil me font penser à Portofino, je m'attends presque à entendre Ornella Vanoni chanter non loin de là. Il fait chaud, le soleil est haut dans le ciel mais un vent agréable rafraîchit mes épaules. L'odeur de la cave à vin, le vent qui ondule les draps blanc, le bruit du vent dans les pins…. Sans oublier l'or du champagne Ruinart et les motifs contemporains de l'artiste David Shrigley, exposé à la collection Lambert jusqu'au 25 août. « C'est la première fois que j'imagine un menu entièrement avec du champagne, admet Florent Pietravalle, chef engagé et étoilé de La Mirande depuis 2016. J'ai eu la liberté de repousser l'imaginaire dans ma cuisine. En fait ce qui est passionnant c'est ce que partagent l'art et la cuisine : la créativité à l'état brut et le message à travers la création ». Tout comme le millésime 2009 en Magnum marrie les notes florales et de fruits jaunes à la langoustine sur ses fèves, le chef interprète les oeuvres de David Shrigley (prix Turner en 2013) où l'on retrouve les couleurs du terroirs : le noir d'une cave, le vert des champs, le brun des tonneaux de vins, chères au coeur du chef et de l'artiste. Toute cette expérience se fait avec les oeuvres de David Shrigley en tête et avec les cuvés de la maison Ruinart. L'artiste écossais, ironique et indolent, reconnaissable à son trait volontairement brouillon voire enfantin, garde la même rigueur pour accompagner ses dessins de messages simples, mais qui en disent tellement, d'une lucidité percutante. Entre humour noir et naïveté, il exprime sa vision de Ruinart à travers ses souvenirs des vignes, des crayères et des bouteilles de champagnes avec 42 dessins. Qu'importe notre niveau de connaissance de l'art contemporain, on se sent en milieu familier dans cette collection Lambert.
RIEN NE SE PERD
Mais La Mirande ce n'est pas que ça. C'est tout un hymne à la France que l'on y déguste. La cuisine du lieu est orchestrée par le génie de Florent Pietravalle, presque timide, yeux bleus et carrure d'ancien boxeur. Ses plats se définissent par des recettes traditionnelles aux produits locaux, travaillés avec des procédés révolutionnaires et peu ordinaires dans le traitement. Dans son terrain de jeu qu'est la chambre froide, le chef me montre des squelettes de poissons séchés, « les parures sont laissées à rassir plusieurs mois pour plus tard détendre une crème de chou-fleur ou servir en infusion de jus d'arêtes ». La phrase bien célèbre de Lavoisier définit la cuisine du chef : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».
Chef étoilé, mais chef engagé aussi. De quelle manière ? « En repoussant les limites des saveurs en découvrant de nouvelles combinaisons, de nouvelles textures avec des produits dont il ne faut pas en laisser une miette, répond Florent Pietravalle. Par exemple, j'ai installé une champignonnière sous le restaurant, qui produit plus de 12 kilos de champignons par semaine, ce qui va permettre de proposer des champignons avec moins d'une heure de coupe avant de le servir à table. Les champignons de Paris et pleurotes sont nourris au marc de café et compost du restaurant. Et comme 12 kilos par semaine ça fait beaucoup pour un restaurant, on les revend aux primeurs du coin ou aux autres restaurants ». Pour résumer la journée ? De l'art, des cigales et… des bulles.
La Mirande, 4 place de l’Amirande, 84000 Avignon www.la-mirande.fr