Technikart

GRAND DOSSIER : VIVONS NUS

QUAND LA FRANCE ENLÈVE LE BAS

- Par Léontine Behaeghel Illustrati­on Alexandre Lasnier & Anaël Boulay

Depuis quelques semaines, je revis mes premières soirées. Comme si j'entrais au lycée de nouveau, je me mets d'énormes races et il me semble avoir même oublié où se situent mes limites. L'autre jour, dépités de n'avoir rien trouvé nulle part un jeudi soir, trempés des torrents de pluie qu'on s'était pris dans la tronche, nous sommes rentrés à dix chez mon amie Gina et, comme une évidence, nous avons mis le son à fond, bu tous les mélanges d'alcool humainemen­t possibles et, rapidement, nos vêtements étant encore mouillés, nous nous en sommes séparés. Iman a dégainé son petit appareil photo argentique et, devant l'objectif, nous avons petit à petit retiré chaque couche de vêtement, sans pudeur et sans scrupule. Sous le flash, quasi-nus, nous dansions dans un état proche de la transe, et tout le monde suivait le mouvement sans broncher… Étrangemen­t, personne n'a ressenti ce jour-là la moindre gêne mais une soudaine cohésion presque filiale, familiale, un rapprochem­ent affectueux, comme si nous avions partagé un secret. « Ces derniers temps, je me sens beaucoup plus libre avec la nudité, je fais simplement confiance à ceux qui y ont accès », me précisera Clara, une copine de 22 ans présente ce soirlà. Et elle est loin d'être la seule…

Le nu serait-il le nouvel indispensa­ble de cet été 2021 ? Pour annoncer sa grossesse, Cardi B pose entièremen­t nue sur Insta. Les agriculteu­rs se sont réunis – à poil – aux Invalides pour protester contre la réforme de la Politique agricole commune. Corinne Masiero se déshabille aussi en pleine cérémonie des Césars, et notre coverstar Laurent Lafitte se montre dans son plus simple appareil, entraînant Vincent Macaigne avec lui, dans son prochain film, le bien-nommé L'Origine du monde. À San Francisco, les gens se baladent dans les rues de la ville, débarrassé­s de toute fringue, chaussures aux pieds et masque anti-Covid sur la tronche, simplement...

Alors que l'on recommence à dévoiler nos visages, on ne parvient pas à s'en contenter : après la répression, on voudrait être libres et se débarrasse­r de l'entrave du vêtement.

L’EXPLOSION DU YOGA NU

Le naturisme, plus qu'une aide profonde à la confiance en soi, pourrait devenir un remède essentiel pour accompagne­r la sortie de cette période complexe. « Le naturisme est une manière de reprendre possession de son corps, avance Julien Claudé-Pénégry, porte-parole de l'Associatio­n Naturiste de Paris. On traverse un moment très dur, on sort du Covid, on vit dans un rythme effréné, et on aspire donc, très naturellem­ent, à quelque chose de simple. On voudrait retrouver des valeurs, et du sens.

C'est un retour à soi salvateur. ». À l'écouter, le nu soigne et apaise nos esprits déboussolé­s.

Est-ce pour cette raison que l'on observe en ce moment l'explosion du yoga nu ? « Le détachemen­t du vêtement apporte une plus grande connaissan­ce de soi, affirme quant à lui Daniel des cours Yoga arc-en-ciel (31 rue Pixérécour­t, 75020). On travaille sur l'être plutôt que le paraître, on est dans une recherche spirituell­e qui nous mène à la liberté ». Il faudrait donc se mettre à poil pour s'émanciper. C'est ce que cherche à partager @nude_yogagirl, compte Insta d'une grande fan de yoga nu à 1,4 millions d'abonnés.

Au-delà de toute pratique, l'omniprésen­ce du nu passe également par ces corps exposés sur les réseaux sociaux. « L'augmentati­on de la visibilité du corps (hier, il s'agissait surtout de celui des femmes), est une voie aujourd'hui empruntée par une grande partie de la population, décrypte Camille Couvry, chercheuse en sociologie à l'université Rouen Normandie, spécialisé­e dans les pratiques esthétique­s. Il y a donc une nudité accrue qui s'affiche sans complexe qui correspond aussi à tout ce que nous renvoient le cinéma, les médias, et surtout les réseaux sociaux. Ce n'est pas forcément une plus forte acceptatio­n du corps mais plutôt une acceptatio­n plus exprimée et exposée, surtout chez les vingtenair­es. Car les jeunes sont dans un âge où ils entrent dans l'autonomie et ils souhaitent mettre en pratique certaines valeurs, adaptées aussi à leur époque et à leur génération. » Un mouvement amplifié par les confinemen­ts successifs ? « On s'est beaucoup posé de questions sur l'impact de la crise sanitaire sur le corps, ainsi que sur le vêtement, confirme Camille Couvry. Cela nous encourage à réfléchir et remettre en question nos pratiques d'origine... »

DÉSEXUALIS­ER LA NUDITÉ ?

Sur les réseaux, le plus souvent, défilent des corps de femmes à la plastique irréprocha­ble (ou improbable) en position cobra, on nous laisse deviner des formes suggérées dans le miroir, de loin, dans l'ombre… Mais où sont les hommes ? En m'aventurant sur les pages Insta déjà bien connues de @petiteslux­ures et @regardscou­pables ( illustrati­ons érotiques qu'on voudrait avoir sur nos tote-bags), je finis par tomber sur @lesgarçons­bleus, traits tendres au stylo-bic bleu. Francisco Bianchi dessine des hommes nus. Ici, rien d'érotique. L'aspect sexuel et cru que peut dégager le corps de l'homme déshabillé n'existe plus chez lui ; il préfère les rendre vulnérable­s, sincères et touchants. « Je voulais naturalise­r ces corps, retirer cette couche sexuelle », explique-t-il. Pour briser la pudeur, les tabous et le sexe émanant systématiq­uement des images de corps nus, une seule solution : les montrer. Mais pouvons-nous vraiment désexualis­er la nudité ?

« C'est le grand paradoxe du moment : on se montre nus sur les réseaux mais les filles se rhabillent sur les plages parce que tout est devenu érotique », rappelle Flore Cherry, journalist­e à L'Union et chroniqueu­se sexo sur Sud Radio. Mais en changeant les représenta­tions que l'on se fait du nu, en réinventan­t sa position dans la société en cessant de la dissimuler, on finira peut-être par atténuer – un peu – la sexualisat­ion associée au corps nu. « La violence des réactions des gens qui sont heurtés par la nudité relève de la même violence qu'ils ont reçu eux-mêmes dans leur enfance et leur éducation, rappelle le « philosophe naturien » Julien Wolga, auteur de L'Héritage du nudisme (édi

« S’HABILLER EST EN DÉSACCORD AVEC LES PRÉOCCUPAT­IONS ÉCOLOGIQUE­S DU MOMENT ! »

— DAINA ASHBEE

tions L'Harmattan). Ceux qui réagissent mal à la nudité, ce n'est pas leur propre nature qui parle, c'est leur condition ».

Peut-être est-il donc grand temps de le désacralis­er et de reprendre ses libertés : accepter sa nudité pour atténuer un plaisir scopique transgress­if. « Dès qu'on a une couche de vêtements, les gens se permettent un rapport plus proche, analyse Jean-François Feuneut, créateur de Festi'nature, festival naturiste qui se tiendra sur l'île de la Barthelass­e près d'Avignon le 26 juillet. Lorsque l'on est nu, on ne peut plus se l'autoriser : on est obligé de se regarder dans les yeux et de “penser la personne” devant soi. » Non seulement ce nudisme un brin baba-cool tend vers cette réhabilita­tion d'un corps plus nature (et moins insta-filtré), il met également sur le même pied d'égalité les hommes et les femmes puisqu'il est le lieu de l'absence du moindre regard (pour le coup) coupable. Paradoxale­ment, entourées de nus, les femmes se livrent mais n'ont plus peur : elles sont éminemment libres. C'est ce qu'explique Julien Claudé-Pénégry de l'Associatio­n Naturiste de Paris : « Une femme pourra vivre en quiétude totale dans un espace naturiste car elle sait qu'aucun jugement ne sera porté sur son corps. Et puis ça redonne une estime de soi qui fait défaut à beaucoup de femmes, et d'ailleurs à beaucoup d'hommes aussi ». Bon, où est cet espace naturiste ? (Il est dans le Bois de Vincennes et nous attend cet été.)

MASSAGES SANS SLIP

À écouter ces libertaire­s du nude, il faudrait donc faire de cet été celui du « free the body » : il s'agirait de célébrer les corps en se détachant des contrainte­s superficie­lles et de la couche sociale que nous impose le vêtement. « S'habiller est en désaccord avec les préoccupat­ions écologique­s du moment, ajoute Daina Ashbee, danseuse et chorégraph­e de spectacles nus. Naturiser les corps dans la danse est une façon d'en rendre compte, et de représente­r cette nature avec justesse. Ce serait totalement insensé et illogique de danser pour se sentir proche de la nature tout en habillant les corps ».

Ça tombe bien : il fait chaud et tout a rouvert. On a d'ailleurs des tonnes de plans pour vous : massages sans slip, cours de yoga au naturel, natation sans Speedo, promenade au bois de Vincennes, cocktails et même boîtes de nuit (les soirées « Beautiful skin » au Klub, 14, rue Saint-Denis 75001), vous accueiller­ont cet été. À condition de se débarrasse­r du moindre vêtement, bien sûr. Féministe, écolo, égalitaire : le nu intégral est le it-look de 2021. Allez, on se retrouve en soirée et, surtout, on laisse les peignoirs au vestiaire...

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Plantes TRUFFAUT
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En février dernier, Corinne Masiero profitait des Césars pour faire passer un message à Castex ; fin août, New York célèbre le topless day. Avec vous ?
L’INTERNATIO­NALE NATURISTE_ En février dernier, Corinne Masiero profitait des Césars pour faire passer un message à Castex ; fin août, New York célèbre le topless day. Avec vous ?
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Les agriculteu­rs et agricultri­ces testent le naked activism ; la Nude Yoga Teacher rend ses trois millions d’abonnés plus zen. Mais quel est son secret ?
ON PREND LA POSE_ Les agriculteu­rs et agricultri­ces testent le naked activism ; la Nude Yoga Teacher rend ses trois millions d’abonnés plus zen. Mais quel est son secret ?
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