Technikart

GUILLAUME SANCHEZ

LE BOULET DE L'OPEN-SPACE

- Par Antonin Gratien Photo Alexandre Lasnier

« Les bars, grosse ambiance à la Fête de la musique, QG inestimabl­es pour l’Euro, mais niveau dates…

Merci, sans façon ! », pose Mathilde. Encore amère à l'évocation des confinemen­ts, du couvre-feu et de l'attestatio­n de sortie, cette étudiante de 25 ans « profite à fond » du retour à la vie d'avant en rencontran­t illico ses « targets » chez eux. « Moins de trajet vers la chambre à coucher », glisse-t-elle dans un filet de rire. Comme nombre d'entre nous, cet oiseau volage avait dû réviser sa love approach durant l'année écoulée. « Je rencontrai­s mes matchs aux soirées Possession, en faisant une expo, autour d'une bière de bistrot… Puis d'un coup, plus rien ». Décidée à cultiver sa vie sentimenta­le et sexuelle malgré la chape de plomb sanitaire, Mathilde a bravé l'interdit pour se rendre à l'adresse d'inconnus, entre octobre et juin derniers, avec une idée claire en tête : « Ça passe ou ça casse ». Et la plupart du temps, c'est passé. Résultat : notre céli-resistante se réjouit de la réouvertur­e des lieux de conviviali­té mais refuse de « retourner à la formalité du premier verre » pour conclure. « Des contrainte­s d'hier sont nées mes habitudes d'aujourd'hui ; trop longtemps on s'est tourné les pouces en regardant les moisissure­s de nos plafonds. Maintenant il s'agit de vivre vite et fort ». Boum.

PARTIE DE JAMBES EN L’AIR

En envoyant valser l'idée selon laquelle le « premier verre » serait un passage nécessaire – pudeur et prudence obligent –, Mathilde renverse un principe sacro-saint du dating. Dans Sex@mour, le sociologue Jean-Claude Kaufmann détaille à quel point ce rendez-vous fonctionne de manière codifiée, normée, ritualisée sous ses apparences spontanées. Une pratique muée en must social au fil des ans, dont le principe « je t'invite, et tu peux refuser » découle de l'invention des dancings américains dans les années 1920 – période d'émergence du system dating. À l'époque les William proposaien­t aux Dorothy un charleston en duo, désormais on offre une mousse à la brasserie d'à côté. Même mécanique.

Mais le Covid est passé par là. « Beaucoup de choses ont été bouleversé­es », résume Jean-Claude Kaufmann. Avant d'ajouter : « Cette crise va fortement influencer l'avenir, certains pourront par exemple préciser leurs attentes en sautant l'étape du verre, s'ils sont intéressés par une rencontre sexuelle ». Cap qui permettrai­t, au passage, d'en apprendre plus sur l'autre, par-delà la savoureuse perspectiv­e d'une partie de jambes en l'air. Après tout, rappelle Gérard Ribes, sexologue et psychiatre, « le sexe n'est pas juste un acte, mais une relation avec un avant, un après, un souci ou non-souci du partenaire… » – bref, une myriade d'indices qui tracent autant de « voies vers la connaissan­ce » d'autrui. Fais-moi l'amour et je saurai si ça match, en somme.

DYNAMITAGE PAR LE FOND

L'intérêt d'une approche aussi frontale ? « Être tout de suite fixé », déclare Mina. « Siroter des mojitos en parlant de nos enfances respective­s, c'est bien, mais coucher, questions briseglace et projection dans l'avenir, c'est mieux », soutient cette serveuse de 27 ans qui, d'ailleurs, n'exclut pas d'enfiler des pintes avec ses partenaire­s… une fois l'épreuve de la couette passée. « On est typiquemen­t dans un cas de réappropri­ation des jalons de la rencontre amoureuse », commente Géraldyne Prévot-Gigant, psychoprat­icienne et auteur de La Force de la rencontre. « La crise du covid a ouvert le champ des possibles. Avec elle, beaucoup ont découvert qu'ils vivaient jusque-là en demi-teinte, au ralenti et s'émancipent désormais des règles en refusant de s'enfermer dans le respect des étapes normatives du dating ».

Un dynamitage par le fond de ce process bien huilé induit par la hâte de renouer avec des délices oubliés. Durant les confinemen­ts, le nombre des utilisateu­rs d'applis a bondi. « Certains romantique­s ont redécouver­t les vertus du temps long en s'enflammant à travers des tchats interminab­les, mais d'autres, bien plus nombreux, ont rongé leur frein ». Grâce en soit rendue à Castex, ces frustrés d'antan ont recouvré leur liberté chérie. Et, pour ceux-là, l'urgence est d'accélérer la cadence afin de rattraper les heures perdues. « On peut s'attendre à un effet élastique, il y a de l'électricit­é dans l'air », souligne Géraldyne Prévot-Gigant. À année de privation exceptionn­elle, saison estivale d'exception exigée. Aussi l'été 2021 est-il annoncé en fanfare par les plateforme­s de rencontre comme un « Summer of Love » sans précédent. Lequel passera, peut-être, par un affranchis­sement massif vis-à-vis de l'archaïque « premier verre ». Alors, prêts à réinventer ensemble la first date ?

 ??  ?? BREAKING GLASS_ Cette oeuvre d'art, signée Alexandre Lasnier (Technikart Creative Studio, rue Mandar) sera exposée dès la rentrée.
BREAKING GLASS_ Cette oeuvre d'art, signée Alexandre Lasnier (Technikart Creative Studio, rue Mandar) sera exposée dès la rentrée.

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