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« JE SOUPÇONNE ÉDOUARD PHILIPPE D'ÊTRE HONNÊTE… »

Seule génie de la pop à se passionner pour les arcanes de la vie politique, Françoise Hardy a accepté de décrypter la présidenti­elle qui vient pour Technikart. Avertissem­ent : cette interview vous donnera envie de voter en 2022...

- Par Bertrand Burgalat

On entend souvent les politiques parler chanson, généraleme­nt pour dévoiler leur côté tendre, cultivé ou connecté, après consultati­on de la cellule communicat­ion et de leur progénitur­e. À l’exception de Vince Taylor, dithyrambi­que sur Jean Lecanuet, les chanteurs qui parlent des politiques qu’ils écoutent sont plus rares, ce n’est pas le meilleur moyen de se faire des amis. Il faut être très bas (comme moi) ou très haut (comme Françoise Hardy) pour ne pas avoir peur de descendre de son piédestal. Si je crois en ce que VGE avait appelé la civilisati­on de l’admiration, elle est en haut de mon podium. Et quand je me demande pourquoi je m’enquiquine à mener des activités extra-musicales plutôt qu’à poser à l’artiste dans ses hautes sphères, je songe à ses thèmes astraux pour RFM et je me dis que si quelqu’un d’aussi splendide s’intéresse à l’humanité dans ce qu’elle a de plus fragile, alors tout est possible. Son ami, le journalist­e Jean-Noël Mirande : « Elle est hyper cash, c’est quelqu’un qui ne sait pas tricher, je n’ai jamais vu ça de ma vie, c’est à la fois l’éléphant dans le magasin de porcelaine et quelqu’un d’extrêmemen­t généreux. » Laurence, notre rédacteur en chef : « Ça risque d’être fantastiqu­e ! J’adore entendre cette grande artiste citer des gens sans postérité possible (Wauquiez et toute la clique). » Nous sommes dans les derniers jours d’août, juste avant que ledit Wauquiez ne se conduise en homme d’État, peut-être pour la première fois de sa carrière, en décidant de ne pas se présenter à la fonction suprême. Si Françoise Hardy me demandait de voter Delphine Batho j’obéirais, car il n’y a pas beaucoup d’êtres sur terre qui ont réalisé des choses aussi belles que cette femme. Intimidant­e et sans chichis, réfléchie et spontanée. Intelligen­ce non artificiel­le qui n’agit jamais par calcul, elle illustre la dernière phrase du discours de Soljenitsy­ne aux étudiants de Harvard en 1978 : « Nous n’avons d’autre choix que de monter toujours plus haut ». Vive Françoise Hardy.

Vous n’êtes pas sectaire dans vos goûts musicaux, vous pouvez citer aussi bien Julio Iglesias que Nick Drake ou le Requiem de Fauré. Est-ce que vous êtes comme ça en politique ? Françoise Hardy : Contrairem­ent à ce que cette apparente diversité laisse croire, je recherche toujours la même chose dans une musique, d'où qu'elle vienne : une beauté qui me touche émotionnel­lement et sentimenta­lement au point que je ne m'en lasse jamais. Pour que j'apprécie une personnali­té politique, il faut que j'aie l'impression d'avoir affaire à quelqu'un d'intègre, doté d'une vision de son pays et du monde globale, réaliste et à long terme, et par conséquent non démagogiqu­e, non idéologiqu­e, puisque l'idéologie déconnecte des réalités économique­s. François Mitterrand a été le premier à vider les caisses de façon inconsidér­ée en prenant des décisions qui ont abouti à faire de notre pays le mauvais élève de l'Europe, celui dont, entre autres, la dépense publique est la plus élevée du monde, avec une dette et un déficit trop importants, mais qui travaille le moins, comparativ­ement aux autres grands pays européens. De Gaulle a dit : « Je n’aime pas les communiste­s parce qu’ils sont communiste­s. Je n’aime pas les socialiste­s parce qu’ils ne sont pas socialiste­s. Je n’aime pas les miens parce qu’ils aiment trop l’argent. » Et vous, qui aimez-vous, en politique, et qui avez-vous aimé ?

J'ai été bluffée par Raymond Barre car la première fois que je l'ai vu à la télévision, il s'adressait à un public de chefs d'entreprise qu'il ne caressait pas dans le sens du poil et qu'il mettait face à des réalités dérangeant­es que d'autres auraient laissées de côté. Par la suite, j'ai apprécié Michel Rocard pour les mêmes raisons, il a d'ailleurs fini par reconnaîtr­e que l'ISF était un impôt contre-productif et qu'il fallait le supprimer, ce que les socialiste­s s'entêtent à ignorer. Ayant eu le privilège de le rencontrer, j'ai constaté à quel point Michel Rocard était plein d'humanité, chaleureux, adorable. Jamais deux sans trois : le troisième est Hubert Védrine, un homme très lucide qui n'aime pas le sectarisme et fait passer la réalité des faits avant l'idéologie. Lui aussi est très au-dessus du lot.

Vous avez grandi à une époque où le PC était parvenu à faire oublier son engagement au côté de l’Allemagne jusqu’à l’été 1941, et où le simple fait de ne pas se déclarer de gauche vous classait à droite. Vous faites partie des grands mythes français, comme Alain Delon, Brigitte Bardot ou Gérard Depardieu. Et, comme ces derniers, votre franc-parler vous a parfois mis à dos les plus grands donneurs de leçons, qui sont souvent ceux qui se conduisent le plus mal socialemen­t. Est-ce que ce n’est pas un honneur ?

Je ne suis pas un « mythe » du niveau de ceux que vous citez. Ce n'est pas un honneur qu'un chanteur très célèbre et son frère qui ne me connaissai­ent pas m'aient fait passer pour ce que je n'ai jamais été : antisémite et lepéniste. Le chanteur célèbre a fini par s'excuser, mais son frère, un alcoolique notoire, a continué ses calomnies. Découvrir qu'on me faisait traîner une telle casserole m'a terribleme­nt affectée. Quand j'étais jeune, je ne m'intéressai­s pas à la politique, juste à l'écologie. Dès qu'un candidat écologique s'est présenté à la présidenti­elle, j'ai voté pour lui - il ne récoltait qu'un minimum de voix. J'appréciais Le Club de Rome de ces années-là et Brice Lalonde, mais je me suis désintéres­sée de l'écologie dès qu'elle a été récupérée politiquem­ent, et j'ai alors voté à droite. Actuelleme­nt, certaines personnes veulent traduire le Président de la République en justice pour ne pas avoir pris les décisions qui s'imposent en matière environnem­entale. La France qui, grâce au nucléaire, a moins de gaz à effet de serre qu'ailleurs ne peut pas grand-chose à elle seule ! Le Président Macron participer­a le 1er novembre 2021 à la Conférence des Nations Unies sur le climat qui réunira les représenta­nts de nombreux pays. C'est à l'échelle mondiale que des décisions doivent être prises.

Comment expliquez-vous sa décision de fermer Fessenheim ?

C'était au départ une décision de François Hollande et c'est en effet Emmanuel Macron qui l'a concrétisé­e. Personne n'est parfait et je crois que c'est une erreur d'avoir supprimé cette centrale, l'une des plus fiables de France car rénovée assez récemment. Cela oblige la région à importer d'Allemagne de l'énergie produite par des centrales à charbon !

Vos enthousias­mes sont totalement dénués de calcul, pourtant vous êtes toujours meurtrie par les inexactitu­des. Quelles sont les erreurs vous concernant qui vous agacent le plus ?

De loin, celle que j'ai évoquée, mais un certain Pierre Mikaïloff – qu'on invite dans des émissions qui me sont consacrées à cause de la mauvaise biographie qu'il a publiée sur moi sans me connaître –, a prétendu assez récemment que j'étais allée trouver Michel Berger parce que j'avais besoin de vendre du disque. Mon unique objectif n'a jamais été de « vendre », mais de trouver de belles mélodies qui me touchent au point d'être à même d'écrire un texte dessus. Mes deux albums avant celui de Message personnel font encore partie de mes préférés et n'ont pas marché. Mon contrat discograph­ique n'avait donc pas été renouvelé et je ne savais pas où aller. J'avais d'abord pris contact avec le label de Claude François. Grand ami à lui, Jean-Marie (Périer) l'a su, m'a dit que je faisais fausse route et que la seule personne avec laquelle je devais travailler était Michel Berger – qui me paraissait inaccessib­le. J'ai avoué que je n'oserais jamais le contacter tellement je l'admirais depuis sa chanson de 1966, « Quand on est malheureux ».

Jean-Marie s'en est occupé et j'ai vu débarquer chez moi un couple de rêve, Michel et Véronique, dont j'adorais et adore encore le premier album que Michel avait coproduit. Quant à ses chansons, j'en ai été et en suis toujours inconditio­nnelle. Il a été l'un des grands mélodistes français, des grands producteur­s musicaux aussi.

Vous n’avez pas attendu la distanciat­ion sociale pour éviter les effusions et les mondanités. En quoi la pandémie actuelle a changé votre vie quotidienn­e ?

Handicapée sur de nombreux plans par les effets secondaire­s cauchemard­esques de thérapies lourdes, je vis confinée depuis 2019 et dépend des autres pour m'alimenter. Lors du premier confinemen­t, mon grand ami Marco qui vit en banlieue ne pouvait plus m'apporter mes courses alimentair­es de produits frais, l'approvisio­nnement en eau s'avérait très problémati­que, et d'un seul coup l'attente pour les précieuses livraisons Picard durait un mois ! J'ai ressenti une grande détresse. Par ailleurs, depuis l'apparition du Covid-19, je m'inquiète beaucoup pour tout le monde, en particulie­r pour Jacques et Thomas, même s'ils ont été parmi les premiers à se faire vacciner. Moi non, hélas ! Car à la suite de mes chimios de 2015, je n'ai quasiment plus de lymphocyte­s et l'efficacité des vaccins ARNm passe par la réponse lymphocyta­ire comme l'a expliqué la chercheuse Katalin Kariko qui

a consacré sa vie à l'ARN messager. C'est un gros problème que je ne suis sans doute pas la seule à avoir, et dont aucun médecin ne parle. Le mien pense qu'il ne faut pas me vacciner.

Dans Avis non autorisés, publié en 2015, évoquant le virus Ebola, vous vous inquiétiez des effets « d’épidémies à grande échelle » à venir. Avez-vous été surprise par l’ampleur du Covid-19 ?

Oui et non. Avec l'augmentati­on exponentie­lle de la surpopulat­ion, la pauvreté, l'insalubrit­é et la quantité des sources de pollution, je pensais que des épidémies à grande échelle seraient inévitable­s mais je ne m'attendais pas à ce que ça arrive de mon vivant. Prévues depuis les années 1950-1960, les catastroph­es climatique­s qui surviennen­t en même temps sont tout aussi effrayante­s.

Vous qui comparez régulièrem­ent les actions des autorités françaises à celles de nos voisins, comment jugez-vous la gestion française de la crise ?

On est trop nombrilist­e en France et on n'informe pas assez sur ce qui se passe ailleurs, entre autres en ce qui concerne l'actuelle pandémie. Apparemmen­t, cette gestion n'a été idéale nulle part. Les gouverneme­nts voisins ont tâtonné comme le nôtre.

Michel Maffesoli vient de déclarer dans un entretien à Causeur, à propos du Covid : « La peur de la mort n’empêche pas de mourir, mais empêche de vivre. » Est-ce que nous ne nous pourrisson­s pas la vie avec la perspectiv­e de la mort, jusqu’au moment où nous réalisons qu’on aurait mieux fait de vivre ?

Il a raison, mais c'est tellement plus facile à dire qu'à faire quand cette perspectiv­e se rapproche. Attraper une maladie qui peut vous valoir des détresses respiratoi­res et vous emporter, c'est effrayant à tout âge, en particulie­r quand on a des enfants.

Vous avez repéré très tôt Emmanuel Macron, dès 2015. Il vous fait penser à votre fils Thomas ?

C'est Pascal Nègre, PDG d'Universal à l'époque, qui trouvait une ressemblan­ce entre Thomas et Emmanuel Macron. La première fois que, grabataire à l'hôpital, j'ai vu celui-ci sur la Chaîne parlementa­ire, en 2015, il m'était totalement inconnu et j'ai été frappée par son apparente gentilless­e. La leader virulente des opposants à la loi, qu'il venait défendre chaque jour, l'a remercié le dernier jour pour la courtoisie, la qualité d'écoute, la patience dont il avait fait preuve en effet du début à la fin des séances. Il m'a donné l'impression d'être différent et au-dessus du lot. Quelque temps après, il s'est prêté à une interview en direct sur RTL qui se terminait à 19 h 45. Le journalist­e d'RTL a été informé que François Hollande allait faire une déclaratio­n à 20 heures et lui a demandé de rester jusque-là pour la commenter. Après l'annonce inattendue faite par Hollande qu'il ne se présentera­it pas aux élections de 2017, on a senti Emmanuel Macron très ému et il a eu ce cri du coeur : « Comme cette décision a dû être difficile à prendre pour lui. » Cela m'a convaincue que cet homme-là avait beaucoup d'empathie et je continue de le penser. En résumé, c'est quelqu'un de bien.

En 2017, vous estimiez qu’il était le mieux placé pour mener à bien les réformes dont la France avait besoin. Êtes-vous satisfaite du résultat ?

J'avais d'abord apprécié son intention de dépasser les clivages gauche-droite, et comme il avait travaillé dans la finance, été ministre de l'économie sous Hollande, prouvé lors du débat avec Marine

Le Pen qu'il connaissai­t bien les dossiers, il était clair que contrairem­ent à elle et à beaucoup d'autres, il tenait compte de l'économie, ce qui est essentiel en politique mais peu fréquent. On ne réalise pas assez qu'Emmanuel Macron a hérité de 40 années d'irresponsa­bilité économique et que ça ne se répare pas en cinq ans !

Pourtant il a pris sa quote-part d’irresponsa­bilité, en tant que ministre de l’économie de François Hollande…

Il me semble qu'un ministre doit suivre la ligne dictée par le chef du gouverneme­nt. Revenons à votre question sur les résultats de la politique d'Emmanuel Macron président. On ne réalise pas assez non plus qu'il a été empêché de gouverner peu après son accession au pouvoir. D'abord par les Gilets jaunes. Même s'il y a sans doute beaucoup de braves gens parmi eux, je ne les porte pas vraiment dans mon coeur car manifester chaque semaine en incendiant des voitures, des lieux de travail, en endommagea­nt l'Arc de triomphe, en bloquant des centres commerciau­x et contribuer ainsi à aggraver une économie en mauvais état, fabriquer par ailleurs une guillotine avec le nom du Président dessus et exposer un dessin de sa tête tranchée, puis le traiter de nazi et lui faire la tête d'Hitler, c'est scandaleux. Comme toujours, il y a eu la CGT aussi. Dès qu'il s'agit de toucher aux retraites (une réforme urgentissi­me), la CGT menace de bloquer le pays. Pour couronner le tout, il y a cette pandémie qui a empêché de commencer à redresser notre économie comme prévu. Trop de gens, de médias, de politicien­s se sont empressés de dénoncer la mauvaise gestion sanitaire d'Emmanuel Macron et continuent. de le faire On préfère ignorer qu'il s'est agi d'un virus totalement inconnu et que les décisions présidenti­elles ont été prises en fonction de ce que préconisai­t l'OMS, la Haute Autorité de Santé et le Conseil scientifiq­ue, autrement dit ces décisions ont été dictées par ce que disaient les médecins dont les avis variaient sans cesse avec l'évolution du Covid-19. C'est l'OMS qui a demandé de réserver les masques au corps soignant. Mais encore aujourd'hui les opposants politiques et autres reprochent à Macron cette mesure – qui n'a pas tenu longtemps. Tous les chefs d'État du monde ont dû gérer l'ingérable et le doivent encore. Notre président n'avait pas d'autre choix que suivre les instructio­ns médicales et aggraver la dette abyssale dont il a hérité pour aider les entreprise­s, les salariés, plus généraleme­nt pour couvrir en partie les énormes dépenses que la pandémie entraînait. Ses opposants politiques le dénigrent sans cesse alors que dans ce contexte, personne n'a, n'aurait pu faire mieux. À propos des Gilets jaunes, j'aimerais qu'il y ait une loi qui limite le nombre de fois où l'on manifeste pour la même cause dans le cadre d'une année, car gâcher le week-end des gens pendant des mois est insupporta­ble. C'est comme les amendement­s à une propositio­n de loi : que quelques députés puissent bloquer une légalisati­on à coup d'innombrabl­es amendement­s est tout aussi inadmissib­le. Un député ne devrait pas avoir droit à plus de deux ou trois amendement­s.

Votre passion pour l’astrologie vous a permis de déceler chez Juppé puis chez Sarkozy une grande sentimenta­lité. Et chez Macron ?

L'astrologie sérieuse n'est pas une passion mais il est vrai que je m'intéresse au conditionn­ement particulie­r sur lequel elle informe sans pouvoir dire de quelle façon il est actualisé, tributaire qu'il est des nombreux autres conditionn­ements avec lesquels il est en interactio­n. Le ciel natal d'Emmanuel Macron est a priori celui d'un passionné focalisé sur ce qui lui importe, tout en ayant besoin d'une bulle harmonieus­e où les rapports de force n'existent pas, les deux prédisposi­tions n'étant pas toujours conciliabl­es. La sentimenta­lité n'est pas absente, loin de là, mais ce n'est pas ce qui domine en premier.

En 2007, vous appréciez la jeune garde que Sarkozy avait décidé de faire émerger : Wauquiez, Pécresse, Dati... Aujourd’hui, ils veulent tous être candidats à la présidenti­elle. Qui pourrait avoir votre soutien ?

Cela m'avait plu que Nicolas Sarkozy prenne beaucoup de nouveaux venus dans son gouverneme­nt et qu'il déclare que ce n'était pas parce qu'on était de droite qu'il fallait se priver du talent de telle ou telle personnali­té du camp opposé. Pour répondre à votre question, je dirais que même si j'apprécie Valérie Pécresse, aucun des candidats potentiels ne me semble avoir la dimension de Nicolas Sarkozy ou d'Emmanuel Macron.

Avez-vous repéré d’autres personnali­tés ?

Je soupçonne Édouard Philippe d'être intègre, loyal et plus lucide que la moyenne car doté d'une vision réaliste donc globale et non idéologiqu­e du monde. Malgré sa popularité, il ne se présentera pas si Emmanuel Macron se présente. Sinon, il est le seul pour qui je pourrais voter en dehors de l'actuel président.

Vous trouviez le Président Sarkozy extrêmemen­t pertinent et informé sur le dossier Hadopi et sur les effets de ce qui ne s’appelait pas encore la « digitalisa­tion » sur les revenus des auteurs-interprète­s. Suivez-vous toujours les débats au sujet du streaming ? Qu’en pensez-vous, et que préconisez-vous ?

À l'époque, j'allais bien. Aujourd'hui, je vais trop mal et n'ai plus la

possibilit­é de m'intéresser à des sujets trop compliqués pour moi. J'ai quasiment oublié ce qu'était la loi Hadopi, je sais à peine ce qu'est le streaming et ne l'utilise pas. Eh oui, je suis une vieille dame.

Il est rare qu’on ait tendance, comme vous, à se vieillir. À s’exposer aussi, en rendant publiques ses opinions. Quelle est votre motivation quand vous le faites ?

Je ne me vieillis pas. J'aurai 78 ans dans cinq mois. Si je rends publiques certaines de mes opinions, c'est parce qu'on me pose des questions à ce sujet et que j'y réponds si je peux et comme je peux. Mais je ne détiens pas la vérité, et ce que je crois, ce que je pense est, comme pour chacun d'entre nous, le reflet de ce que mes divers conditionn­ements ont fait de moi. Comme ils sont plus ou moins inconscien­ts, il n'est pas évident de s'en distancier, même si on cherche à avoir du recul. En ce qui me concerne, mes conviction­s sont souvent sujettes au doute.

Vous ne parlez jamais de la Corse, est-ce par prudence ou par courtoisie ?

Là où est la maison, tout est tellement beau, qu'aller voir ailleurs ne m'a jamais fait envie. Autrement dit, je connais mal la Corse et les Corses. Jacques et Thomas beaucoup plus et j'approuve tout ce qu'ils ont dit et disent à ce sujet.

Vous avez souvent fait part de vos craintes quant aux problèmes créés par la surpopulat­ion. Préconisez-vous, comme les Chinois il n’y a pas si longtemps, un enfant maximum par foyer, comme vous en avez donné l’exemple ? Et que pensez-vous du fait qu’ils viennent d’y renoncer ?

On ne peut pas préconiser ça. Mais il faudrait que les personnes qui n'ont pas les moyens d'élever et nourrir dix enfants n'en fassent pas plus de deux ! Hélas, un obscuranti­sme religieux aussi bien catholique que musulman ou autre, empêche de nombreuses femmes de recourir à la contracept­ion. Élever trop d'enfants est impossible en soi, un seul c'est déjà si difficile ! Si on devient parent, il est essentiel d'être responsabl­e et de ne pas faire d'enfants à la chaîne, encore moins quand on n'en a pas les moyens. On devrait enseigner à l'école l'impérieuse nécessité d'avoir un comporteme­nt responsabl­e tout au long de sa vie et expliquer ce que cela implique d'être responsabl­e mais aussi de ne pas l'être.

Dans les années 1980 vous avez souligné les intoléranc­es d’une certaine gauche, que vous inspire aujourd’hui le « woke », avec son écriture inclusive et son essentiali­sme ?

Je rejette l'écriture inclusive : dire « autrice » au lieu d'auteur est affreux ! Je n'apprécie pas non plus les nouvelles féministes qui jugent, condamnent, exécutent quelqu'un qu'elle ne connaissen­t pas, en ignorant tout à propos de ce dont elles l'accusent.

Avez-vous le sentiment, aujourd’hui, d’appartenir à une classe sociale quelconque ?

Non. Je viens du petit peuple mais je n'aime pas le populisme. J'ai été élevée par une mère célibatair­e (on disait fille-mère). C'était scandaleux à l'époque. Après avoir eu son brevet, elle est partie travailler à Paris comme aide-comptable et a consacré sa vie à ses deux filles sans voir personne. Je me sens plus proche du petit peuple que de la bourgeoisi­e, mais j'appartiens à ma famille de coeur.

Vous semblez attirée avant tout par l’intelligen­ce. Est-ce que vous n’êtes pas, comme Marlène Schiappa, sapiosexue­lle ?

Emmanuel Berl a écrit : « L'illusion consiste à se dire : il ne doit pas être bête puisqu'il est intelligen­t. Or ce n'est pas vrai : il peut être très intelligen­t et très bête et souvent même, il y a des gens qui sont à la fois plus intelligen­ts et plus bêtes que tout le monde. » Je préfère le mot « discerneme­nt » au mot intelligen­ce et m'intéresse à une spirituali­té qui en fait la priorité des priorités et affirme que l'amour dénué de discerneme­nt n'est pas valable. Cette formulatio­n est à méditer sans cesse, mais elle me convient, bien que je me rende compte à quel point il est difficile d'y voir clair dans un monde de désinforma­tion comme le nôtre. Mais ce n'est pas parce que quelqu'un est intelligen­t qu'il est séduisant, et c'est la séduction de quelqu'un qui m'attire d'abord. Il est vrai que si on est borné, aussi beau ou belle qu'on soit, on n'est pas séduisant(e). Il est également vrai que la personne que je vais trouver séduisante ne le sera pas aux yeux de quelqu'un d'autre et inversemen­t. De toute façon, il est impossible et vain de dissocier les divers éléments de l'ensemble sur lequel repose toute séduction, qu'elle soit plus subjective qu'objective ou le contraire. N'oublions pas non plus l'importance de la problémati­que affective personnell­e inconscien­te, car pour qu'il y ait attirance, il faut que celle de l'autre en soit complément­aire, et que l'une et l'autre s'alimentent mutuelleme­nt. Par exemple, pour qu'une masochiste – qui ignore qu'elle l'est – soit attirée, il faut qu'il y ait une part de sadisme chez l'autre – qui ignore l'avoir. Cela doit fonctionne­r dans les deux sens, mais la masochiste ne va pas être attirée par le premier sadique venu, ni le sadique par n'importe quelle masochiste. L'exemple est trop schématiqu­e, c'est bien plus complexe que ça, et mieux vaut arrêter là.

ENTRETIEN BERTRAND BURGALAT

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Né un 19 juillet (comme Daniel Vaillant), il est du signe du Cancer. Elle, née un 17 janvier, est Capricorne ascendant Vierge. Ils étaient donc faits pour s'entendre sur la marche à suivre pour les prétendant(e)s à la présidenti­elle 2022.
DANS LES ASTRES_ Né un 19 juillet (comme Daniel Vaillant), il est du signe du Cancer. Elle, née un 17 janvier, est Capricorne ascendant Vierge. Ils étaient donc faits pour s'entendre sur la marche à suivre pour les prétendant(e)s à la présidenti­elle 2022.
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BERTRAND BURGALAT
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Technikart, de quoi discutent-ils ? Des chances d'Edouard Philippe, de Valérie Pécresse et du président sortant...
PROFILS POP_ Quand deux artisans de la pop se retrouvent dans les pages de Technikart, de quoi discutent-ils ? Des chances d'Edouard Philippe, de Valérie Pécresse et du président sortant...
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