LES INFLUENCEUSES DU XIXE
Les « activistes à l’horizontale » du XIXe siècle ont-elles inventé l'influence ? C'est l'incroyable postulat du nouvel essai de Raphaël Turcat et Judith Spinoza*.Explications demi-mondaines.
LA PAÏVA LA PLUS EROTICO-SMART
Self-made woman, Esther Lachmann (1819-1894), dite la Païva, « courtisane cosmopolite », avait le goût de l’excès. En témoigne son hôtel particulier des Champs-Élysées, construit grâce aux générosités de son amant Guido Henckel von Donnersmarck (le cous’ de Bismarck). Résultat ? Son parador (à mi-chemin entre palace fastueux et auberge espagnole) devient le rendez-vous mondain de la capitale.
Raphaël Turcat : « Ce "Louvre du cul" (merci aux frères Goncourt pour le sens de la formule) est la provoc’ ultime de cette femme partie de rien. La phrase qui la résume : "Qui paye y va !", le surnom de son hôtel particulier. »
Hôtel de la Païva, 25 avenue des Champs-Élysées, 75008
LA BELLE OTERO LA PLUS POPU
Tellement populaire qu’aux États-Unis Caroline Otero (1869-1965) est surnommée la suicidal siren (c’est ça d’entraîner la mort d’une flopée d’amants éconduits). Cette Espagnole, as du déhanché, a mis le gotha moderne à ses pieds. « Édouard VII, Alphonse XIII, Albert Ier de Monaco, Nicolas II, Guillaume II, Aristide Briand, jusqu’à Raspoutine, qui l’a reçue incognito sous des loques de mendiante, Georges de Grèce, l’empereur du Japon. On continue ? La phrase qui la résume : "La fortune ne vient pas en dormant… seule". » 70 rue du Général-Leclerc, 75014
MATA HARI LA PLUS SÉDITIEUSE
Vous voulez devenir la femme la plus convoitée de Paname ? Faites courir le bruit que votre père est un prince hollandais, que vous êtes née à Java et que vous avez été élevée par les prêtres de Shiva. Succès assuré... du moins, pour Mata Hari, née Margaretha Grietje Zelle (1876-1917). Son fait d'armes ? Invitée dans les salons de la plaine Monceau elle lève le tabou de la nudité avec sa technique de l’effeuillage (tout est dans le nom).
« Talent qui ne la sauvera malheureusement pas d’une fin tragique : elle est fusillée en 1917 pour espionnage et trahison. La phrase qui la résume : "Tu me demandes si j’ai envie de faire des bêtises ? Eh bien, plutôt dix fois qu’une", dans une lettre à son futur mari. » 11 rue Windsor, 92200 Neuilly–sur-Seine
LIANE DE POUGY LA PLUS FASHIONISTA
Anne-Marie Chassaigne (1869-1950), de son vrai nom, annonce la génération slasheur. Depuis son hôtel particulier du 8e arr., elle se fait rivale de la Belle Otero, Sapho du demi-monde – sans pour autant avoir de problèmes à faire financer ses parures, équipages et autres luxes par de riches amants-sponsors (Charles de Mac-Mahon, Roman Potocki ou encore Maurice de Rothschild) – puis enfin icône de la mode (elle se fait habiller par le couturier Paul Poiret).
« Elle est applaudie aux Folies-Bergères, puis se convertit en romancière. Elle
se lance dans le vlog de sa vie en tenant un journal de 1919 à 1941, Les Cahiers
bleus, avant de rentrer dans les ordres. Amen. La phrase qui la résume : "Mon père, sauf tuer ou voler, j’ai tout fait" (extrait de ses Cahiers bleus).» 15 rue de la Neva, 75008
LA REINE POMARÉ LA PLUS EQUAL RIGHTS
Les voies de l’égalité homme-femme ont été ouvertes par Élise Sergent
(1825-1847) .... sur la piste de danse. Cette courtisane, amante de Théodore de Banville, Théophile Gautier ou encore Baudelaire, reine du bal et de la polka, maîtrise le pas de deux et le pas chassé comme personne.
« Au bal Mabille, le lieu fashion de la capitale, elle s’impose sur le dancefloor et révolutionne les rapports homme-femme (à côté de ça, les Tik-Tok dance challenge c’est du chiqué). La phrase qui la résume : "La polkiste la plus transcendantale qui a jamais frappé du talon le sol battu d’un bal public" (Théophile Gautier dans La Presse). »
Un grenier du jardin du Luxembourg
MARIE DUPLESSIS LA PLUS MUSE
Les hétaïres ne sont généralement pas des références en matière de marketing (se faire offrir des robes à 10 000 francs et atteindre des sommets pour finir seule et ruinée par des dettes...). Qu’importe, Rose Alphonsine
Plessis (1824-1847) a fait de son nom une légende.
« Dumas fils s’en inspire pour La Dame aux camélias, puis Verdi avec La Traviata. Moins par moins égal plus ? La phrase qui la résume : "Je donne des ordres, je n’en reçois pas !". » 11 boulevard de la Madeleine, 75001
VIRGINIA DE CASTIGLIONE LA PLUS PINTERESTER
Même pas besoin d’adopter un surnom pour cette « perle d'Italie », issue de l’aristocratie piémontaise (1837-1899) : après avoir joué les diplomates amatrices en devenant la maîtresse de Napoléon III – et cramé sa beauté et sa réputation dans les salons de Paris –, elle fait de la photo son dada. De ses tenues extravagantes à son goût pour l’objectif, elle aura été une avant-gardiste du culte de l’image.
« La phrase qui la résume : "Appelez-moi la Perla d’Italia" (sa devise). » 38-40 rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008
VALTESSE DE LA BIGNE LA PLUS SNOBISH
La spécialité d’Émilie-Louise Delabigne (1848-1910) ? Trier sa communauté sur le volet. Cette cocotte-altesse, habituée des Bouffes Parisiennes, se crée un palmarès d’artistes-amants (de Zola à Courbet en passant par Manet, sans oublier Liane de Pougy…).
« Elle se fait appeler Ego, et se fait construire un hôtel (très) particulier à Ville d’Avray, luxueuse demeure ultra-design – dont Dumas se voit d’ailleurs refuser
l’entrée. Sorry, not sorry. La phrase qui la résume : "Quand les autres femmes auront comme moi conscience de leur force et de leur pouvoir, l’homme sera bien peu de chose" (extrait de son livre Isola). » 7 rue de Saint-Cloud, 92410 Ville-d’Avray