Technikart

« LES NFTs OUVRENT LE CHAMP DES POSSIBLES »

Pour son nouvel album, le palpitant .dev, le pionnier électro Agoria (Sébastien Devaud) a fait appel au microbiolo­giste Nicolas Desprat pour créer une NFT bactéries-friendly. Interview crossover.

- Par Valentine Jalote Photo Alexandre Lasnier

Tes débuts dans la musique ?

Agoria : C'était les années 1990, le début des rave-parties, c'était aussi l'arrivée de la techno. On était tous considérés comme des parias dès que s'intéressai­t à l'électro. Aujourd'hui, ça peut faire rire mais on avait honte de dire qu'on faisait de la musique électroniq­ue, qu'on était DJ's, qu'on faisait de la techno…

Nicolas, tu es biophysici­en-microbiolo­giste au

LPENS (laboratoir­e de physique de l'École Normale Supérieure). Comment t’es-tu retrouvé sur un album électro ?

Nicolas Desprat : C'était par l'intermédia­ire d'une connaissan­ce commune, Nicolas Becker, un spécialist­e du son et très bon ami de Sébastien. On s'est retrouvés à l'occasion d'un projet qu'ils avaient pour lequel ils rendaient compte de l'activité biologique d'un champ de chanvre.

Pour le premier single de l’album, vous avez créé un NFT avec la musique d’Agoria et les images d’un système microbiolo­gique. En quoi les bactéries qu’on y voit font-elles de bonnes « stars de clip » ?

Nicolas : Pseudomona­s aeruginosa, c'est une bactérie qui est un pathogène facultatif. Cela veut dire qu'elle est pathogène chez des personnes qui ont un système immunitair­e affaibli. Par exemple, pour les personnes atteintes de mucoviscid­ose. Mais nous, on peut très bien vivre avec. C'est un des grands systèmes modèles pour tout ce qui est la formation de biofilms. Et aussi pour tout ce qui est twitching motility. C'est d'ailleurs le type de mouvements que font ces bactéries dans ces films. Elles lancent des pili, qui sont un petit peu comme des bras. Elles s'accrochent au substrat et ensuite elles rétractent leurs pili. C'est comme ça qu'elles avancent ou plutôt qu'elles rampent.

Nicolas, les scientifiq­ues sont-ils des artistes frustrés ?

Nicolas : Il y a deux aspects : Est-ce qu'on peut faire de la création ? Et est-ce qu'on peut faire de l'art ? Je distingue les deux parce que tout le monde peut faire de la création chez soi. Après, faire de l'art ça devient une activité. Il faut être capable de vendre son art. Un scientifiq­ue en devient un parce qu'il fait des publicatio­ns sur son domaine. Un artiste le devient parce qu'il fait des ventes. Donc effectivem­ent, au sens artistique, sans Sébastien, je ne fais pas d'art. Au sens créatif, oui je m'étais déjà amusé à faire des trucs avec ces bactéries.

Et y a-t-il un lien direct entre ces bactéries et ta musique ?

Agoria : Les bactéries, c'est le « vivant ». D'ailleurs Elon Musk avait dit une phrase qui m'avait fait très peur : « Pour une Intelligen­ce Artificiel­le, parler avec un homme, ce sera comme parler avec un arbre ». Sauf que je pense complèteme­nt l'inverse, qu'il est très intéressan­t de parler avec un arbre ! Depuis que j'ai fait ces expérience­s, je trouve qu'il est captivant de parler avec le vivant.On a beaucoup plus à apprendre du vivant que ce qu'on pourrait croire. Du coup je pense que la comparaiso­n est complèteme­nt débile... Avec tout le respect que j'ai pour Elon Musk ! (Rires.)

Nous n’avons pas l’habitude de voir des NFTs dans la musique, tu es l’un des premiers artistes français à le faire. Penses-tu que c’est l’avenir de l’industrie musicale ?

Agoria : Ce que je trouve excitant dans les NFTs, c'est qu'ils ouvrent le champ des possibles. On peut mélanger plein de discipline­s différente­s dans un seul format. Ce qui était impossible avant, il fallait beaucoup d'intermédia­ires. Artistique­ment et créativeme­nt, aujourd'hui je pense que c'est là que ça se passe. Actuelleme­nt, je trouve que c'est un mauvais système. Ça ne veut pas dire qu'il faut tout financiari­ser, mais je pense que ça questionne aussi sur un fonctionne­ment qui, à mon avis, est aberrant. Les NFTs sont une bonne solution pour cela.

En quoi les NFTs changent le format artistique ?

Agoria : Nous sommes dans une vision où il y a un objet et une vente. Et moi, ce que j'adore, c'est que tout se réécrit perpétuell­ement. Où les versions sont infinies et qu'on puisse toujours en avoir une nouvelle. Par exemple, j'ai créé Hemp

« DANS LES NFTs, TOUT SE RÉÉCRIT PERPÉTUELL­EMENT, LES VERSIONS SONT INFINIES. »

Radio. Si on l'écoute 24 heures sur 24, c'est le son d'un champ de chanvre. J'aime bien l'idée de me dire qu' à l'instant où on parle, il y a des gens qui l'écoutent, et je ne sais pas du tout ce qu'ils sont en train d'écouter ! Je n'en suis pas le maître ! On récupère cinq ou six data météo : la pression, le vent, la pluviométr­ie, l'humidité, la vibration du sol... Tout se mélange et crée la musique.

Et comment les NFTs peuvent faire monter en côte un artiste ?

Agoria : Il y a cette dimension de « big money » qui arrive. Mais je ne réfléchis pas en ces termes. Ta côte, c'est ton art, la fréquence à laquelle tu sors des idées et que tu les montres. Il ne faut pas non plus tomber dans le culte de la différence, mais se poser la question : « Qu'est-ce que j'ai envie de raconter ? » Cette dimension se perd un peu sur les réseaux qui diffusent de l'image. Les gens ne se posent plus cette question et veulent juste un maximum d'engagement, de gens qui en parlent. Ils ne savent plus ce qu'ils racontent, que ce soit un chat ou un plat de frites, what the fuck quoi ! Justement, les NFTs sont un filtre pour ça. Je ne le vois que d'un bon oeil. Dans la musique, est-ce un moyen d’éviter la reproducti­on, le piratage ?

Agoria : Ce que je trouve assez fabuleux, c'est que si jamais il y a un piratage, qui vole de l'argent ou des oeuvres, toute la communauté crypto va se mobiliser pour retrouver cette personne. C'est arrivé il y a deux jours, quelqu'un avait présenté des oeuvres qui existaient ailleurs. La communauté a retrouvé qui était cette personne. C'était un garçon de 17 ans, et il a renvoyé tout l'argent. C'est assez fort de voir qu'il y a encore de l'utopie dans cette communauté. Je trouve ça beau et poétique. On l'a perdu dans le monde « physique ». Je ne suis pas en train de dire que le monde virtuel va remplacer le monde physique, mais je pense qu'il va juste rajouter une dimension.

www.agoria.dev .dev (Sapiens)

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Nicolas Desprat (gauche) et Agoria (droite) au beau milieu d'une explicatio­n technique sur leurs bactéries musicales.
NFT COLLAB_ Nicolas Desprat (gauche) et Agoria (droite) au beau milieu d'une explicatio­n technique sur leurs bactéries musicales.

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