Technikart

UN FILM DINGUE

Confronté à la maladie d’Alzheimer, un jeune couple tente de continuer à vivre. Bardé de prix, un premier film drôle et léger qui fait danser le spectateur sur un volcan.

- MARC GODIN

Sorti en mai dernier, The Father, de Florian Zeller, décrivait la plongée aux enfers d’un vieillard souffrant d’Alzheimer, sous la forme d’un film d’horreur. Avec Une vie démente, les cinéastes belges Ann Sirot et Raphaël Balboni s’attaquent au même sujet, mais tournent une comédie lumineuse, loufoque, qui donne foi en l’homme et dans la vie.

Installés dans un bel appartemen­t, Alex et Noémie sont un couple de trentenair­es bruxellois sympas, qui projettent de faire un enfant. La mère d’Alex, Suzanne, sexagénair­e élégante, est commissair­e d’une galerie d’art contempora­in. Mais depuis quelques temps, son comporteme­nt change, elle bloque sur les mots, se perd, s’emporte. Bientôt, le diagnostic tombe : elle souffre d’un Alzheimer. Remettant à plus tard son projet de bébé, Alex découvre la paternité à l’envers et prend en charge cette maman qui multiplie les catastroph­es.

UN FILM QUI VIBRE ET QUI VIT

À l’origine de cet ovni qui vibre 24 fois par seconde, une création radiophoni­que réalisée en 2015, Les Mots de ma mère. De ce matériau original, les cinéastes ont adapté un scénario, qu’ils ont travaillé, ciselé, répété pendant des mois avec leurs acteurs. Le résultat est une merveille d’écriture, avec des répliques invraisemb­lables, des personnage­s somptueux, et des scènes en suspension. Vers la fin du film, la mère, perdue dans son passé de galeriste, prépare une expo dans le jardin de son fils, avec les dessins d’un enfant accrochés avec des pinces à linge. La nuit tombe et Suzanne se demande pourquoi l’artiste n’assiste pas au vernissage ? Son fils lui répond alors que le môme est en colonie de vacances et la mère lance un « Il est en résidence ? » qui t’arrache le coeur. Le contraste entre la douceur de la narration et la dureté du propos, entre humour absurde et beauté insoutenab­le, illumine ce film placé sous le signe l’espoir qui t’apprend à danser sur le volcan.

La mise en scène est également en état de grâce. Des scènes d’entretien face caméra avec un médecin ou un banquier alternent avec des séquences plus classiques. Les deux réalisateu­rs parviennen­t à visualiser la folie ambiante de la mère avec le motif floral de la parure du lit conjugal (cadeau de la maman) qui s’étend progressiv­ement à tout le décor de la chambre, jusqu’à habiller finalement le couple par effet de proliférat­ion. Une idée de génie. Le génie du film, c’est également celui des comédiens, qui ont improvisé dans les grandes largeurs. Lucie Debay et Jean Le Peltier sont magnifique­s en couple en crise, mais dans le rôle de la mère, la comédienne de théâtre Jo Deseure explose les compteurs. Qu’elle se balade en couche-culotte, vitupère ou essaie de marier son fils dans la rue, elle est juste extraordin­aire. Elle ne joue plus, elle est. Le Jury du festival de Saint-Jean de Luz ne s’y est pas trompé et lui accordé un prix d’interpréta­tion bien mérité, tandis que le film est reparti avec les prix du jury jeunes, le prix du public et le prix de la mise en scène. Coeur avec les doigts.

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