« LE SUCCÈS EST UNE HISTOIRE D’ALCHIMIE »
Besoin de changer d'air ? Le cofondateur et PDG d'Interparfums, l'entreprise aux prestigieux flacons, confie à Technikart l'historique de sa réussite. Interview essentielle.
Interparfums, rond-point des Champs-Élysées, appartement bien évidemment haussmannien. L'équipe Technikart s'attend à entrer dans un bureau des plus guindés, mais il n'en est rien. Philippe Bénacin, PDG de l'entreprise, nous reçoit avec plaisir, bien qu'il soit plus qu'overbooké. Au mur, des tableaux de Villeglé et Hains, artistes qu'il affectionne tout particulièrement. Au sol, posées discrètement, deux guitares électriques Gibson avec leur ampli. Une autre passion à laquelle il s'adonne dès qu'il peut, avec pour inspi' Jimmy Page ou Clapton : rockeur dans l'âme ? Enfin, dans le dernier coin, des échantillons de ses fragrances à côté d'un plateau qui, lui, contient une ribambelle de parfums concurrents qu'il renouvelle tous les ans, afin de se tenir au courant des nouveautés de l'industrie. Mais c'est de bonne guerre : il nous explique que c'est monnaie courante dans l'industrie. Pas de malice là-dedans, tout le monde est curieux de savoir ce que les autres font et c'est plutôt sain. Finalement, qu'il soit rockeur ou collectionneur, c'est bien « parfumeur » qui lui va le mieux. Il revient pour Technikart sur l'histoire de l'ascension d'Interparfums.
Vous avez fondé Interparfums en 1982, à 23 ans, avec le parfum Ray Marjory. À quoi ressemblait le secteur il y a 40 ans ?
Philippe Bénacin : La publicité était très différente, les égéries étaient plus rares, le flacon et le parfum étaient vraiment au centre de la communication. Avec Jean Madar (le cofondateur de Interparfums, ndlr), nous étions à l'ESSEC et, dans le cadre des travaux pratiques de notre cursus, nous avions envoyé un mailing à environ 300 sociétés pour proposer des études de marchés. Sur l'intégralité des entreprises contactées, une seule me répond : Ray Marjory. Je les rencontre et ils nous proposent d'étudier leur marque pour en faire un parfum. Notre statut d'étudiants nous a permis de mettre le pied dans le secteur de la parfumerie et d'y développer notre réseau. C'était le début de l'aventure Interparfums. En 1989, vous faites la rencontre de Régine, à l’époque reine de la nuit, avec des boîtes à Las Vegas, Tokyo…
À l'origine, c'est une personnalité plus qu'une marque, mais il y avait quand même tout l'univers de la fête et de la nuit derrière, qu'on a réussi à retranscrire en parfum. L'aventure a duré cinq ans, et nous a ouvert beaucoup de portes.
Comment décririez-vous votre démarche à cette époque ?
Dans les années 1987-1988, nous avons évolué dans un marché dégriffé, avec surtout des produits et des olfactions. Mais avec Jean, nous étions déjà convaincus que ce marché n'avait pas un grand potentiel.
Pourquoi ?
Le marché n'avait pas de croissance. Il y avait déjà une concurrence forte en ce qui concerne les prix et, finalement, tout ce que nous proposions étaient de simples produits parfumants. Or, un parfum, c'est d'abord une histoire, un univers de marque et son image, des fondations solides qui doivent susciter une véritable désirabilité et authenticité pour que les consommateurs adhèrent et restent fidèles. Nous avons donc opté pour un autre business model, en nous associant avec des marques qui avaient de réelles histoires à raconter.
Vers quelles marques vous êtes-vous donc tournés après Régine ?
Moschino, que nous avons distribuée pendant quatre ans, et qui appartenait à la société italienne Euro Italia. Ils nous ont par la suite proposé de distribuer une nouvelle marque qu'ils venaient de signer : Dolce & Gabbana. À l'époque, j'étais très sceptique, la marque n‘était pas connue, le nom compliqué à comprendre, spécifiquement à l'international. J'étais très réticent à investir et puis finalement, nous avons décidé de relever le défi et, contre toute attente, les produits ont plu et les ventes ont décollé ! Mais c'est vraiment notre collaboration avec Burberry, en 1993, qui a fait rentrer Interparfums dans l'univers du luxe.Dans la foulée, nous rachetons Molyneux. Mais c'est véritablement avec Burberry, qu'Interparfums a changé de dimension et s'est fait une vraie place dans le secteur de la parfumerie sélective. Dans les années qui ont suivi, nous avons signé les licences parfum de Céline, Lanvin, Lacroix et St Dupont et la société s'est
imposée comme un vrai challenger sérieux dans l'industrie.
Et aujourd’hui ?
Nous avons continué à grandir, à investir, notre portefeuille de marques s'est largement étoffé. Nous avons, je crois, changé de dimension et de statut.
Depuis, vous collaborez pleinement avec ces marques sur le lancement de leurs parfums, vous n’êtes plus simples distributeurs.
Totalement. Aujourd'hui, nous concevons, fabriquons et commercialisons les parfums des marques avec qui nous nous associons. Et nous le faisons sur un mode collaboratif avec chacune d'entre elles. Nous sommes constamment en mode projet, notre rôle est d'être proactif et proposer à nos marques partenaires un vrai plan de route, une vision, avec de nouveaux lancements qui répondent aux tendances mais dont le concept respecte complètement leur ADN. C'est notre expertise.
Vous avez démarré dans les années 1980 ; la communication se limitait alors au print, aux spots télé et à l’affichage...
La place de la presse écrite dans nos investissements publicitaires a indéniablement baissé, parce que le secteur souffre, mais c'est aussi le résultat de l'explosion du digital. Nous restons en revanche très présents en affichage. La télévision, en France, reste un booster indiscutable, qu'il s'agisse de direct ou de prise de parole en différé, sur les canaux du replay, de la VOD, etc. Mais l'idéal, évidemment, c'est d'être présent sur tous les plans pour avoir une visibilité 360° et toucher le plus de consommateurs potentiels.
Et le rôle du digital là-dedans ?
La part du digital dans nos investissements a augmenté partout. Aux US, elle représente 80 % de notre enveloppe média. En France, elle a doublé en deux ans. Elle est passée de 7-8 % à 15-16 % aujourd'hui. Et en 2020, elle a même représenté jusqu'à 30-40 % de nos investissements lorsque les points de vente étaient fermés. Mais, globalement, l'expérience en point de vente, en prise directe avec le parfum et son univers, reste un moment agréable et privilégié pour
« C'EST AVEC BURBERRY, EN 1993, QUE NOUS SOMMES ENTRÉS DANS L'UNIVERS DU LUXE. »