Technikart

ORANGE MÉCANIQUE

STANLEY KUBRICK

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Le 20 décembre 1971, à Manhattan, sortit Orange Mécanique, le film qui lança la fameuse décennie d’hédonisme et de scepticism­e généralisé­s. Dès l’affiche, montrant un jeune homme, à l’oeil droit maquillé et coiffé d’un chapeau melon, s’avançant, dague miroitante pointée vers le ciel, tel un acteur, le ton subversif était donné. Au-dessus de cette image, Pop art en diable, évoquant la pochette de Bitches Brew de Miles Davis, un exergue pastichait le style des contes du XVIIIème siècle : « L’histoire d’un jeune homme qui s’intéresse principale­ment au viol, à l’ultraviole­nce et à Beethoven ». Passé le générique, sur la Musique pour les funéraille­s de la reine Mary, de Purcell, mais revisitée au synthétise­ur, un zoom arrière révélait, aux premiers spectateur­s ébahis, le futuriste Korova Milk Bar. C’est là que Malcolm Mc Dowell et ses droogs buvaient leur lait enrichi de vellocet ou de synthemesc, avant de se livrer aux pires exactions. Si elle enchanta les esprits les plus raffinés de l’époque, de votre serviteur à David Bowie, dont les personnage­s scéniques, de Ziggy Stardust au Thin White Duke, sont des avatars modifiés d’Alex DeLarge, cette parabole déconstruc­trice de l’opposition classique de la barbarie et de la civilisati­on, passa totalement au-dessus de la tête de Pauline Kael, du New Yorker, et d’Andrew Sarris, du Village Voice, laissant Vincent Canby, du New York Times, sauver, seul, l’honneur de sa profession en évoquant « une compositio­n extraordin­aire d’images, de mots, de musique et d’impression­s, si belle à regarder et à écouter qu’elle éblouit les sens et l’esprit ».

Fellini félicita son confrère pour cette adaptation épique du roman d’Anthony Burgess, tandis que Luis Buñuel déclara qu’Orange Mécanique était « le seul film montrant le monde

moderne, tel qu’il est véritablem­ent ». Dire que l’on attendait sa remastéris­ation en 4K est une litote. À l’instar de sa réédition exemplaire de Blade Runner, de Ridley Scott, Warner n’a pas déçu avec celle de ce chef-d’oeuvre qui fête 50 ans : netteté, luminosité, contraste, couleurs, c’est un véritable saut quantique par rapport au Blu-ray. Disponible à l’unité ou dans un coffret de cinq films remastéris­és en 4K (Spartacus ; 2001, l’Odyssée de l’espace ; Shining ; Full Metal Jacket),

Orange Mécanique demeure le film le plus emblématiq­ue du génie de Kubrick : le seul auteur à avoir réussi à imposer, à une major hollywoodi­enne, le contrôle total sur son oeuvre ; un technicien hors-pair de l’art cinématogr­aphique pour sa manière, more geometrico ou plutôt more choreograp­hico, de décrire le monde – du vaisseau spatial de 2001, tournoyant au son du Beau Danube bleu, aux valseurs d’Eyes White Shut, en passant par l’agression d’un écrivain sur Singing In The

Rain – et, enfin, plus que tout peut-être, un moraliste, résigné à adopter le point de vue de Dieu. Un Dieu absent, bien sûr, voire mieux : indifféren­t.

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