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vivres publicitai­res. QUI VEUT LA PEAU DES DROITARDS ?

Valeurs actuelles et CNews les détestent, Raquel Garrido et son mari les adorent, et les autres s’en foutent : le collectif anonyme Sleeping Giants attaque les médias à droite de la droite en leur coupant les

- Par Violaine Epitalon PUBLICITÉS PROGRAMMAT­IQUES

« Nous ne faisons rien d’illégal ! ». Sur la fenêtre Skype, un poing fermé rouge et bleu s'affiche. Pas d'image, mais seulement une voix aux intonation­s brésilienn­es et ponctuée d'expression­s belges, celle de Rachel, cofondatri­ce anonyme des Sleeping Giants. Ces militants bourrés de bonnes intentions ont un but : dépouiller les sites web et chaînes télé ultras de leurs annonceurs en interpella­nt publiqueme­nt ces derniers sur les réseaux sociaux. La branche française du collectif, née en février 2017, cumule désormais plus de 38 000 abonnés sur Twitter et un butin de chasse honorable. Depuis leur création, ils laissent derrière eux les carcasses dépouillée­s de leurs annonceurs de sites comme Breiz Atao (site identitair­e breton) ou Boulevard Voltaire. Leurs cibles du moment ? Valeurs Actuelles, France Soir ou CNews. Ce qui dérange ? Selon les Sleeping Giants : les règles de déontologi­e du journalism­e et les conditions d'utilisatio­n Google qu'ils bafouent, et Zemmour. Enfin, surtout Zemmour.

« Bonjour FeerieCake, c'est probableme­nt involontai­re, mais votre pub se retrouve sur Valeurs Actuelles (…) site abject, intolérant et haineux, déserté par la quasi-totalité des annonceurs. Pas d'inquiétude, vous pouvez facilement l'éviter en l'excluant de vos campagnes Google Ads (la régie publicitai­re de Google qui gère la pub programmat­ique, ndlr) ». Ce genre de messages, le collectif, très, très au taquet, en diffuse une ribambelle chaque jour sur son compte Twitter, commentés et partagés par les membres de leur communauté.

Quand on veut participer au combat contre ce genre de média, on peut tenter le débat, convaincre et raisonner… Ou, plus efficace, frapper là où ça fait mal : le portefeuil­le. Le système des publicités programmat­iques repose sur une sorte de hasard qui fait que les marques qui paient pour des campagnes sur internet ne sont pas informées de chaque placement. Alors, parfois, les annonceurs se retrouvent sur des sites comme Valeurs Actuelles sans le savoir. Pour la télé, le système est plus ou moins équivalent (quand un annonceur souscrit au pack Canal, il peut se retrouver sur CNews entre deux interventi­ons de Pascal Praud). « C'est l'histoire du consenteme­nt volontaire ou implicite, explique Amaury de Rochegonde, rédacteur en chef-adjoint de Stratégies. Désormais, des agences de publicité font plus attention. Dentsu, par exemple, met en garde certains de ses clients. »

Bon, alors, en théorie la liberté économique existe, « chaque annonceur est libre de placer sa pub où il veut », assure Rachel. Avant de préciser : « La neutralité n'existe pas, si l'annonceur affiche volontaire­ment sur ces sites, c'est une alliance ». Il est vrai que quand on s'appelle Greenpeace (le dernier gros annonceur à avoir été interpellé sur Twitter), ça ne fait pas très propret de s'afficher à côté d'un article sur « les discours alarmistes sur le climat ». « Depuis 2017, on comptabili­se plus de 2000 annonceurs qui nous ont répondu et se sont retirés. Et il faut savoir que pour chaque annonceur qui confirme, il y a un annonceur qui ne répond pas mais qui blackliste le site signalé », récapitule Rachel. Du bon boulot sur le papier, donc. Mais au fond, est-ce que la méthode paye ?

90 NOUVEAUX ANNONCEURS

« Le manque à gagner est considérab­le pour les sites. Plus les grandes ou moyennes marques se retirent, plus vous vous retrouvez avec des campagnes de quatrième zone, des pubs pour des rencontres furtives ou des plombiers polonais basés en Allemagne », assure Rachel. De son côté, Geoffroy Lejeune, rédacteur en chef de Valeurs Actuelles, contredit : « Depuis que notre ancienne régie pub, Taboola, nous a lâchés (en avril 2021, à l'époque du dossier scandale sur la députée Danièle Obono, ndlr), nous avons changé notre système économique et je ne compte plus sur les revenus de la pub programmat­ique qui ne représente­nt plus grand-chose ». Du côté de CNews, tous les voyants sont au vert : ils affirment avoir doublé leur CA en un an et recruté 90 annonceurs (Figaro). « Il ne faut pas oublier qu'il y a tout Vivendi derrière. Même s'il y a un militantis­me patent, la chaîne n'en ressort pas si stigmatisé­e que ça », ajoute Amaury de Rochegonde.

N'en reste pas moins que Valeurs Actuelles et

CNews ont déposé une plainte. Et que les Corsaires (un collectif créé pour contrecarr­er l'action des Sleeping Giants et rattaché à l'agence Progressif Media, dans laquelle Bolloré vient de prendre des parts), mettent beaucoup de zèle dans leurs campagnes. Pourquoi ? Parce que les Sleeping Giants, c'est le petit caillou au fond de la godasse : il n'y a pas de quoi hurler de douleur, mais à la longue, c'est suffisant pour faire clopiner. Et puis, en matière d'éthique, il y aurait un peu à redire. Surtout lorsque la bataille économique est sous-tendue par une bataille idéologiqu­e

Les Sleeping Giants affirment pourtant n'être motivés que par l'envie de venir en aide (très philanthro­pes) : « Les valeurs que nous défendons sont universell­es, pas politiques », scande Rachel. C'est beau. Sauf que pour d'autres, ça ressemble davantage à une cabale dont le domaine d'action se situerait en dehors des lois. Pas besoin d'essayer pour le savoir : tenter de mettre fin à l'action d'une armée de comptes Twitter anonymes est aussi difficile que de retirer une coquille dans du blanc d'oeuf. De fait, il n'existe pas vraiment de loi pour encadrer l'appel au boycott sur les réseaux sociaux et il est presque impossible de traîner en justice un nom sans visage. Résultat des courses ?

Valeurs Actuelles mise tout sur le print et les abonnement­s – ainsi que cette charmante pub pop-up pour le jeu moyenâgeux Dota 2 fourni par leur nouvelle régie tchèque –, tandis que Bolloré étend son empire et que la chaîne

CNews continue d'afficher un beau palmarès d'annonceurs (Hyundai, Cofidis, Bexley…). Et les Sleeping Giants, quant à eux, pondent une poignée de tweets par jour. Tout va très bien, madame la Marquise ?

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