« UNE VILLE DÉJANTÉE ! »
Romancière et philosophe, Éliette Abécassis nous confie sa vision de Tel-Aviv à l’occasion de la sortie de son nouveau livre, La Transmission. Entretien.
Tel-Aviv joue un rôle important dans plusieurs de vos romans. C’est une histoire d’amour entre vous et cette ville ?
Éliette Abécassis : Je suis très attachée à ce pays. J'adore y aller parce que c'est un pays miraculeux qui a été créé en 1948 et qui est jeune et rempli d'énergie. C'est une sorte de miracle en soi, de créer un pays à partir de marécages et de voir ce qu'il est devenu chaque année : Tel Aviv change tous les ans. On y construit sans cesse. On dirait un petit New York ! C'est une ville où on passe des vacances idéales. Entre la mer, la plage, le surf, les restaurants, les boîtes de nuit... Et à une heure de voiture, on est à Jérusalem, où l'on se nourrit spirituellement, comme partout dans ce pays biblique.
Pouvez-vous me raconter votre rapport à cette ville ?
Je l'ai découverte quand j'avais quinze ans. C'est un âge où on dormait sur la plage (rires).
Finalement, c’est la ville qui vous a suivie dans toutes les étapes de votre vie ?
Oui, tout à fait !
Qu’est-ce qui vous a le plus marquée lorsque vous êtes allée à Tel-Aviv pour la première fois dans les années 1980 ?
L'énergie ! C'est une ville sûre, qui vit la nuit. Il y a des embouteillages à quatre heures du matin. C'est complètement fou.
C’est une ville qui vous inspire ?
Beaucoup. J'en ai parlé dans plusieurs de mes livres. Elle me fait rêver. C'est une capitale Bauhaus, toutes les maisons sont construites dans cette architecture. Il faut un certain temps pour apprécier son charme. Au début, on peut être dérouté, et puis, peu à peu, on est séduit par son côté un peu décati, un peu déconstruit, un peu n'importe comment. Et c'est là où on se laisse prendre au jeu et on est envoûté.
À quelle fréquence y retournez-vous ?
Tous les ans, parfois plusieurs fois par an.
Quels sont vos spots préférés ?
J'en ai plusieurs, selon les différents quartiers de la ville. Autour du Boulevard Rothschild, il y a des petits cafés au charme typiquement israélien. J'aime faire un tour par la rue Sheinkin pour profiter de son ambiance et des ses boutiques branchées. Sans oublier Neve Tzedek, le quartier des artistes, aux jolies petites maisons, qui ressemble un peu au Marais à Paris. Florentine, un autre vrai quartier d'artistes un peu déjanté. Et puis la Tayelet, le grand bord de mer, qui ressemble à la Californie.
Depuis quand Tel-Aviv est-elle devenue la ville libérée de la fête ?
Oh, depuis longtemps ! Même quand j'étais adolescente c'était le cas. Ça a monté en puissance, c'est vrai, ces quinze dernières années. Il y a des restaurants incroyables qui ouvrent un peu partout, avec cette nouvelle gastronomie israélienne que maintenant tout le monde connaît et ses chefs mondialement réputés, qui mélangent les saveurs orientales et occidentales. C'est une ville où on mange vraiment très bien. Il y a un nombre de boîtes incroyable, certaines en plein air, avec une ambiance folle.
Jérusalem ou Tel-Aviv ?
Elles sont tellement opposées. J'aime bien l'idée qu'il y ait les deux. Une ville déjantée, de fête. Et puis Jérusalem, une ville monastère, avec ses rituels, consacrée à la prière. C'est toute la diversité du peuple juif qui s'exprime par là. Passer de l'une à l'autre, c'est se rendre compte qu'il y a mille façons opposées d'être juif. De ceux qui prient et étudient tout le temps à ceux qui ne vivent aucun aspect de la religion.
Comment décririez-vous Tel-Aviv ?
Le lieu idéal. Justement parce qu'il y a le soleil, la plage, la gaieté. Mais il y a aussi cette histoire incroyable de juifs qui reviennent sur leur terre. C'est une épopée cette ville. Elle est née des sables. Elle est une capitale de start-ups, en l'espace de quelques dizaines d'années ! « Si tu le veux, ce n'est
pas un rêve », disait Herzl, fondateur du sionisme.
Votre nouveau livre s’intitule La Transmission. Qu’estce que cela signifie pour vous ?
C'est le fait de recevoir un héritage et d'arriver à le perpétuer d'une façon créative. On ne crée pas à partir de rien mais à partir de ce qu'on nous a donné. Et on a besoin de ce passé, de notre histoire, de nos traditions. Il ne faut pas les répéter de façon dogmatique, mais il faut s'appuyer dessus pour arriver à être créatif.
Quelle est votre quête dans ce livre ?
C'est la première fois que j'écris sans un masque romanesque. Je raconte une histoire très personnelle, vraie et incroyable, celle de mon père, Armand Abécassis. C'est le récit d'une relation père-fille, une enquête sur mon père qui voue sa vie à la transmission. Professeur à l'université en philosophie, c'est un grand maître du Talmud et une figure du judaïsme. Je mène une enquête sur cet homme de paroles en essayant de résoudre un mystère : qu'est-ce qui fait qu'il a dédié son existence à la transmission ?
Cette enquête vous a-t-elle rapprochée de lui ?
Bien sûr. En écrivant ce livre j'ai fait de vraies découvertes. C'est un homme très secret qui ne parle jamais de lui. J'ai enquêté sur sa famille, sur son enfance au Maroc, sur sa jeunesse et sur toute sa vie. On a travaillé ensemble et on a beaucoup parlé. J'ai utilisé des documents, des photos et même des talismans. Et j'ai découvert cette histoire de transmission incroyable, qui vient de plus loin que lui, de génération en génération. De ces rabbins au Maroc qui consacraient leur vie à enseigner à leurs élèves.
Dans votre livre vous posez la question « Comment transmettre ? ». Avez-vous trouvé une réponse ?
Oui (Rires). Je crois avoir trouvé la réponse. Quand on a des enfants, surtout aujourd'hui, on se pose cette question car on voit qu'on a du mal à leur transmettre les valeurs existantes. Je dirais même un contenu parce qu'ils sont captés par la technologie et finalement, ils deviennent les enfants de celle-ci. Elle envahit toutes nos vies, y compris spirituelle et psychologique. Je pense qu'on transmet à travers des rites, pas nécessairement religieux mais comme par exemple manger ensemble à table sans portables. Mais aussi par les fêtes, la famille, les traditions, que ce soit celle de sa région, de ses ancêtres. C'est important de s'inscrire dans une lignée, afin de transmettre activement ses valeurs, cette culture. Je pense qu'il faut lire, aussi, mais pas seulement, ça passe par l'écrit et par l'oral, par des maîtres. Les maîtres, cela peut être nous. La transmission est l'enjeu majeur de notre époque.
Déjà une idée de votre prochain livre ?
Non, je suis encore dans la transmission. Il est difficile de sortir de cette aventure d'écrire sur son père, et à travers lui, toute une culture, la culture sépharade à laquelle j'ai voulu rendre hommage.
La Transmission, Robert Laffont, 246 pages,19€
« C'EST LE LIEU IDÉAL. IL Y A LE SOLEIL, LA PLAGE, LA GAIETÉ. »