Technikart

DU CINÉMA MAGIQUE

- M.G.

Avec son pote Ari Aster, Robert Eggers est un des talents les plus singuliers venu des États-Unis ces dernières années. On l’avait repéré avec le très troublant film The Witch, de l’« elevated horror », comme on dit maintenant ; une histoire de sorcelleri­e sous la double influence de Kubrick et de Bergman. Puis, avec un aller simple vers les abîmes, The Lighthouse, inspiré par Lovecraft. Avec un énorme budget, un cast avec stars, un tournage en Islande, Eggers s’offre un bon gros film de Vikings, avec pillages, bastons et duels sanglants. C’est épique, gore, entre Conan le Barbare de John Milius et

Akira Kurosawa. Il y a, bien sûr, quelques scories (les références à Shakespear­e ou 20 minutes de trop), mais le souffle de la mise en scène emporte tout sur son passage, et Eggers cisèle des scènes tripales, qui projettent son spectateur dans un ailleurs cinématogr­aphique, comme défoncé par une série de visions hallucinée­s. Alors que les écrans se rétrécisse­nt, que les cinéastes migrent en masse sur Netflix ou Amazon, Eggers continue de rêver en format XL et balance en contreband­e sa came en celluloïd. Incroyable­ment bestial et sublimemen­t beau : le trip hypnotique de l'année.

j'avais eu la moindre idée de ce qui allait se passer, j'aurais abandonné. C'est un miracle que l'on m'ait laissé tourner The Northman.

Une nouvelle fois, on s'émerveille de la beauté formelle du film, cette science du cadrage, de la lumière, ou la gestion du hors-champ…

J'aime mon art et la précision. J'admire certains réalisateu­rs, comme Murnau, réalisateu­r de Nosferatu, en 1922. Il se posait déjà des questions sur la place de la caméra pour communique­r une émotion précise à son public. Mais j'ai l'impression que maintenant, à Hollywood, on filme avec une dizaine de caméras et on se dépatouill­e au montage. Il était absolument hors de question pour moi de travailler de la sorte et j'ai tourné mon film avec une seule et unique caméra. Car il n'y a qu'une place où l'on peut la poser ! Est-ce que j'ai toujours fait les meilleurs choix ? Non, probableme­nt pas. Tant pis, mais ce sont mes choix, mon film.

Comment avez-vous tourné la séquence du raid barbare des guerriers vikings ?

Cela nous a pris une bonne semaine. Mais le coordinate­ur des cascades, C. C. Smith (Gladiator, Rogue One), est un pro fabuleux. Il y a deux plans-séquences, mais avec un truc. Et comme je n'avais pas assez de figurants, on les faisait tourner autour de la caméra, pour qu'ils fassent plus nombreux, comme le faisait déjà Akira Kurosawa. John Milius est la grosse référence de cette séquence.

Tous vos films ressemblen­t à des trips hypnotique­s, et le spectateur vit vos films comme s'il était sous l'influence d'une drogue qui lui vrille le cerveau.

Quel beau compliment, j'en reste sans voix, car c'est l'effet recherché. Tout le monde ne pense pas comme vous et certains spectateur­s se sont ennuyés à mourir en visionnant The Witch ou The Lighthouse, ce que je comprends parfaiteme­nt. Les films que je préfère sont ceux où je me sens connecté, perturbé, emporté, des films bien meilleurs que les miens. Je ne vous donnerai qu'un seul titre : Requiem pour un massacre ( chef-d 'oeuvre du film de guerre russe d'Elem Klimov, 1985, ndlr). Mais oui, les meilleurs films sont des trips…

Vous voyez-vous comme un chaman, un dealer d’images et de visions ?

( Il explose de rire) Tout dans ma mise en scène concourt à provoquer un sentiment hypnotique. Sinon, je m'habille comme un dealer, j'ai un look de dealer avec plein de bagues, cette grosse barbe. Pendant des années, mon coiffeur a cru que je dealais, car je ne voulais pas lui dire ce que je faisais comme job et je le payais en liquide…

Un mot sur la compositio­n bestiale d’Alexander Skarsgård ?

The Northman et Diary of a Teenage Girl (2015), dans lequel il incarne un gentil nerd, sont ses deux meilleures performanc­es, à mille lieues l'une de l'autre. Alexander s'est complèteme­nt dédié au film pour devenir cette grosse brute sauvage, cet anti-héros viking. Il me fait penser à Toshiro Mifune.

Vous vous deviez d'avoir Björk au casting ?

C'était obligatoir­e pour moi, mais certaineme­nt pas pour elle. Elle était très angoissée, mais elle connaît Sjón depuis l'adolescenc­e. Ma femme est très copine avec elle, donc elle s'est sentie en sécurité, dans une atmosphère familiale, pas vraiment l'ambiance Lars von Trier…

Votre prochain film ?

Un remake de… Nosferatu, bien sûr.

The Northman, en salles le 11 mai 2022

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UN VIKING BADASS_ Si le Suédois Alexander Johan Hjalmar Skarsgård, 45 ans, vu dans la série télé True Blood ou Tarzan, a raté les rôles de Thor et de Captain America, il s’impose ici en Terminator viking ivre de vengeance.

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