Technikart

BEAUTÉ INTÉRIEURE

Un artiste met en scène l’ablation de ses nouveaux organes. Sexe et bistouri, douleur et orgasme : David Cronenberg répand ses tripes et incise l’oeil du spectateur.

- MARC GODIN

LES CRIMES DU FUTUR

DAVID CRONENBERG (EN SALLES LE 25 MAI)

« Surgery is the new sexy » . David Cronenberg, 79 ans, avait disparu, évaporé dans les limbes du 7ème art et n’avait pas réalisé de film depuis Maps to the Stars en 2014. Retiré des plateaux, il a écrit un roman en 2016, Consumés, et s’est occupé de sa femme malade… De passage à Paris, on lui avait demandé s’il allait revenir un jour au cinéma et avait répondu malicieuse­ment : « Oh, mais c’est top secret, Marc. Mais il y a peut-être quelque chose… » Quelque chose se tramait, donc…

En août dernier, on apprend que David Cronenberg tourne à Athènes Crimes of the Future, qui reprend le titre de son court-métrage de 1970, avec un cast (Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kirsten Stewart) qui fait chavirer tous les adeptes du maître et de la Nouvelle chair. Puis tout se précipite, quelques images apparaisse­nt sur le Net, le film est sélectionn­é pour Cannes et sort dans la foulée. Cronenberg est de retour. Différent et toujours le même.

Les Crimes du futur commence avec l’image d’un paquebot échoué sur une mer calme. Et enchaîne avec le meurtre par étouffemen­t d’un enfant par sa mère. Résumer la suite s’apparente à ramper sur une lame de rasoir, tant l’exercice paraît improbable, dangereux, voire inutile. En quelques mots, il est question d’un artiste performer (Viggo) qui met en scène la métamorpho­se et l’ablation de ses nouveaux organes, avec l’aide de sa partenaire Caprice (Léa), devant des spectateur­s admiratifs, tandis que des activistes mutants veulent révéler au monde la prochaine étape de l’évolution humaine…

CARTOGRAPH­IE DU CHAOS

Lent et obscur, drôle et insoutenab­le, le nouveau Cronenberg, son premier scénario original depuis eXistenZ, va cliver. Et pas seulement à cause des scènes où Viggo se fait charcuter le ventre, le sourire aux lèvres, où des couples se mutilent en poussant des soupirs orgasmique­s. Mais plus probableme­nt à cause du propos. Que tente de nous dire Cronenberg ? Certains ne verront qu’un best of provoc' de son cinéma, une compil’ de Videodrome, Crash, eXistenZ, La Mouche ou Le Festin nu (d’ailleurs, le film évoque souvent l’univers de William S. Burroughs, mais aussi celui de Samuel Beckett). Pourtant, Les Crimes du futur va beaucoup plus loin que le simple objet arty et gore puisqu’on peut l’envisager comme un film totalement autobiogra­phique, avec des répliques où Cronenberg parle à la première personne (« Je ne suis qu’un technicien, j’installe des portes vers le futur »).

De fait, Les Crimes du futur est un mausolée. Un requiem, ce que souligne parfaiteme­nt la musique d’Howard Shore. Au coeur du film, Viggo Mortensen (quatrième collaborat­ion avec Cronenberg) incarne un artiste qui transforme la maladie, les tumeurs et la mort en spectacle, en art. Exactement ce que fait Cronenberg l’alchimiste depuis plus d’un demi-siècle. Avec ce film, David Cronenberg s’offre totalement à son spectateur : il sort ses tripes et s’ouvre le coeur, transforme les épreuves qu’il a traversées en une oeuvre d’art. Un art qui nous transperce, nous comble, et nous sauve, dans une vie qui n’a aucun sens. Un chef-d’oeuvre mutant, l’Everest du cinéma de Cronenberg.

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