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L’EMPLOYÉ DU MOIS UN DILETTANTE TRÈS OCCUPÉ

Le journalist­e américain ressuscite la presse new-yorkaise des années 1990 dans un livre de souvenir sous-titré : Les Véritables contes de l’excès, du triomphe et du désastre.

- FOIRE AUX VANITÉS JACQUES BRAUNSTEIN

Dana Brown travaille depuis 28 ans au Vanity Fair US, passant de second assistant du rédacteur en chef, à rédacteur en chef adjoint. Barman au 44, un restaurant à la mode de Midtown, au début des années 1990, il observait le ballet des journalist­es du puissant groupe Condé Nast. La meilleure table pour la rédactrice en chef de Vogue, la seconde pour celui de Vanity Fair, la troisième pour celui de GQ… Mais si le patron du groupe de presse, S.I. Newhouse, débarquait, chacun était rétrogradé d’une table… C’est alors que Dana Brown est remarqué par Graydon Carter, rédacteur en chef d’origine canadienne de Vanity Fair, qui lui déclare : « Les ressources humaines m’envoient des candidats venant de Harvard, Princeton, Columbia (…) certains sont bons. Certains excellents. Mais j’ai toujours ressenti qu’ils pensaient que le boulot n’était pas digne d’eux, qu’ils étaient faits pour écrire des articles de fond, pas pour m’apporter des cafés et taper de mots de remercieme­nt… »

C’est ainsi que ce guitariste d’un groupe post-punk, renvoyé du lycée pour des problèmes de drogue, ne sachant même pas nouer une cravate, devient l’ombre du tout-puissant rédacteur en chef de Vanity Fair de 1992 à 2017. Son récit raconte les détails les plus triviaux : comment se faire rembourser ses propres notes de frais au milieu de celles de son patron, ou se procurer un livre sur S.I. Newhouse sous embargo, en se faisant passer pour un journalist­e du groupe concurrent. Mais également des considérat­ions plus essentiell­es sur l’évolution de la pop culture : comment Tarantino ou Fincher ont changé Hollywood au début des années 1990, faisant que Brad Pitt et Gwyneth Paltrow succèdent à Sylvester Stallone et Tom Cruise en couverture du magazine, ou en quoi l’affaire O.J. Simpson a marqué le début de l’air de l’informatio­n, et accessoire­ment de celui de la téléréalit­é.

À la lecture de Dilettante on pense évidemment à Glamorama

de Bret Easton Ellis, qui se déroulait justement en 1995 à Manhattan, comme aux romans de Jay McInerney – auquel Dana Brown ressemble, avec quelques centimètre­s de moins, et parfois quelques kilos de plus… Ou surtout au Diable s’habille en Prada,

de Lauren Weisberger, ancienne assistante elle-même de Anna Wintour à Vogue, adapté au cinéma avec Meryl Streep et Anne Hathaway.

Mais si ces oeuvres mettaient en scène et fictionnal­isaient le Manhattan des années 1990 de manière hyperboliq­ue, Dilettante

en est le récit réaliste. Une sorte d’envers du décor de la foire aux vanités du XXème siècle finissant. Bref, ça intéresser­a surtout les journalist­es, qui aiment à retrouver ce temps où la presse avait du pouvoir et de l’argent. Mais qui nous rappelle également que les magazines étaient autrement plus intéressan­ts à lire lorsque les gens qui les faisaient déjeunaien­t, dînaient, et sortaient ensemble. Confrontan­t leurs idées et échangeant des informatio­ns dans le plus grand mépris du rendement. Cela concerne donc également ses lecteurs, qui seront de plus séduits par l’élégance du style de Dana Brown. Preuve que, sans passer par Harvard, on peut apprendre à écrire le meilleur des anglais en relisant les papiers de collègues talentueux.

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 ?? ?? ASCENSION ET CHUTE_ En smoking à 20 ans, en t-shirt à 50, le symptôme d'une vie à l'envers ?
ASCENSION ET CHUTE_ En smoking à 20 ans, en t-shirt à 50, le symptôme d'une vie à l'envers ?

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