Technikart

« JE VOULAIS ÊTRE ACTRICE »

Le détonnant Romain Brau nous parle de ses débuts au cabaret Madame Arthur et de son entrée fulgurante au cinéma. Entretien magnétique en plein make-up.

- MUHA Antoine L'Hebrellec Par Guilhem Bernes Photo Alexandre Lasnier

Tu as rouvert le cabaret Madame Arthur avec des amis en 2016. C’est comment les salles vides des débuts ? Romain Brau :

Tu t'en prends plein la gueule ! (rires) Déjà, on a tous appris à ravaler notre fierté. Il pouvait y avoir cinq personnes dans la salle. Et beaucoup de gens qui se perdaient, qui ouvraient la porte par hasard pour tomber sur moi, qui chantais à poil sur scène en talons aiguilles et en lingerie ; parfois, des gros ploucs débarquaie­nt en beuglant « Oh putain ! C'est quoi ça ! », et rabattaien­t la porte alors que j'étais en train de chanter une chanson remplie d'émotion. Le plus difficile, c'est de continuer pour les cinq personnes dans la salle.

Tu es au cinéma maintenant, avec de l’argent, des hôtels, des voyages… Pourtant tu continues le cabaret. Qu’est-ce qui te fait encore kiffer ?

C'est le bordel (rires) ! On a chanté sans micro, dans la rue, dans des forêts, des musées, des soirées mode, des ouvertures de festival. J'ai fait l'opening de la dernière édition de Série Mania. Les invités venaient pour faire du business et j'ai débarqué sur scène pour la cérémonie d'ouverture pour offrir du beau mais… que je devais assumer ! Je recevais autant de reconnaiss­ance que d'indifféren­ce… C'était hyper hardcore (rires). D'un autre côté, quand tu as cinq-cents personnes qui pleurent devant toi parce que tu te livres entièremen­t sur « Que je t'aime » de Johnny Hallyday, le cabaret devient magique.

Comment es-tu passé du cabaret au cinéma ?

Nous étions dans l'un des meilleurs cabarets de France. Nous enchaînion­s les propositio­ns pour jouer dans des clips, des pièces de théâtre, des petits et grands films… Mais j'ai rapidement appris à ne pas m'emballer. Le plus souvent, ce sont des propositio­ns sans lendemain, notamment pour des questions de financemen­t. En parallèle, je prenais des cours de chant, de diction, de théâtre…

Et en 2019, le film des Crevettes Paillettée­s est entré dans ta carrière.

Un grand épisode dans ma vie ! La réalisatio­n ne trouvait pas d'actrice travestie, transgenre ou bien queer. Un de mes meilleurs amis, qui travaillai­t déjà sur ce projet, leur a parlé de moi. Ils sont venus me voir en spectacle au cabaret de Madame Arthur. Je ne savais pas qu'ils étaient dans la salle. J'ai fait mon tralala, et à la fin du spectacle ils m'ont proposé de passer un essai. L'année d'après, on était en Croatie pour tourner. Ça a été mon premier grand film avec un rôle principal. Depuis, en deux ans, j'ai réussi à jouer dans sept ou huit films. Pour un acteur sans formation, c'est gigantesqu­e.

Tu joues principale­ment des rôles transgenre­s ou travestis. Que défends-tu dans tes films ?

J'essaie de défendre des rôles sophistiqu­és. Être travesti ou transgenre, ce n'est pas uniquement faire le tapin à Pigalle. Ma dentiste est transgenre, elle a fait ses études dentaires et a ouvert son cabinet. J'ai beaucoup d'amies qui sont mannequins ou comédienne­s et qui sont transgenre­s. J'ai eu une grande affection pour le rôle de Sephora dans Haute couture, où je joue avec Nathalie Baye et Lyna Khoudri. Je suis mariée à un rebeu, on tient un kebab à Saint-Denis ; je suis jolie, habillée en manteau de fourrure et en même temps, je conduis une camionnett­e sur laquelle est écrit « Kebab ». Je vais chercher mes potes à l'hôpital, je prends soin des gens ; il y a un côté très bienveilla­nt qui m'a séduit. C'est une belle image à défendre.

Les annonces de casting tiennent-elles encore la route ?

Pour le film Une femme du monde, l'offre du casting stipulait « cherche travesti ou transgenre espagnol ou latino avec un accent ». Ils m'avaient appelé pour passer l'audition. Sur place, je leur ai dit : « Mais vous êtes cons ou quoi ? Pourquoi je ne pourrais pas être travesti ou transgenre alsacien et faire des études d'avocat ? Ne me demandez pas de faire un accent, je trouve ça ridicule ». J'ai eu le rôle et je n'ai pas fait d'accent.

Tu dis souvent « incarner ta féminité » quand tu joues. Les actrices t’ont-elles davantage

inspiré que les acteurs ?

Enfant, Isabelle Adjani m'a vraiment fasciné. Je me souviens d'une scène dans Possession, où elle explose un sac en plastique dans un tunnel. C'est un coup de rage. Elle est folle, elle est possédée. Je me suis dit « Putain ! ça doit être si jouissif de jouer ça ». Puis j'ai découvert les films de Claude Chabrol. Je n'avais pas envie d'être acteur, mais actrice. Elles ont un côté très perturbant, fulgurant !

À quoi ressembler­a l’année prochaine ?

J'ai mon premier rôle au théâtre avec Héléna Noguerra, Christian Cohendy et Pierre Notte, des grandes pointures. C'est au théâtre du RondPoint des Champs-Élysées, l'un des cinq meilleurs théâtres français. J'ai aussi la tournée de mon spectacle Romain Brau allume les étoiles. Et je prépare une série AppleTV avec une pointure du cinéma américain, mais c'est encore confidenti­el (sourire).

Avec tous ces projets, le cabaret a-t-il encore une place ?

Toujours ! Je n'aime pas du tout l'idée d'avoir galéré chez Madame Arthur et de tout quitter maintenant que tout décolle. C'est mon rendez-vous avec les gens auprès de qui j'ai envie de me montrer, dans ma féminité.

Romain Brau allume les étoiles,

le 12 octobre 2022, au théâtre Les Étoiles, 75010 Paris

«POURQUOI JE NE POURRAIS PAS ÊTRE TRAVESTI ET FAIRE DES ÉTUDES D’AVOCAT ? »

NATURE PEINTURE_

L'acteur haut en couleur Romain Brau a pris la pose dans le quartier. (Costume et bijoux Gucci,corset Telos)

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France