Technikart

LES PUDEURS DE L'I.A.

Alors que les Intelligen­ces Artificiel­les deviennent nos premières interlocut­rices en ligne, quel avenir pour toute oeuvre ou propos grivois ? Notre chroniqueu­r enquête.

- Par Thierry Théolier www.midjourney.com

Alors que j’assistais sur la chaîne YouTube Avatarial à une conférence pointue avec notamment l’artiste Yann Minh, j'apprends par ce vétéran de l'art multimédia, et au détour d'un long exposé passionnan­t sur l'utilisatio­n des Intelligen­ces Artificiel­les dans le champ des possibles, de l'art en particulie­r, qu'un autre artiste, français lui aussi, s'est récemment fait « virer » de

Mid Journey. Son nom ? Olivier Auber, connu pour ses travaux sur son projet Le Générateur Poïétique – un proto-Facebook daté de 1987. Rien que ça.

Mid Journey est un service américain payant et de cooptation (un rien élitiste donc) qui vous permet de générer à vos heures perdues de drôles d'images avec une I.A. connectée à la matrice, soit des ordinateur­s, serveurs ultra-puissants dorlotés par des devs (développeu­rs), programmeu­rs et autres ingénieurs au taquet.

Ces images, vous en avez sûrement vu passer des centaines déjà sur les fils d'actualité de Facebook et cie. Des images improbable­s, étonnantes qui ressemblen­t parfois – et c'est cet aspect qui nous intéresse, Nous, les Esthètes du Mal – à du Dalì, du Bacon ou du Bosh ; elles nous évoquent des visions lynchéenne­s, cronenberg­uiennes ou, moins connu mais tout aussi puissant, du peintre polonais Beksiński. Ces resucées de maîtres ont pourtant une touche unique, comme si ces représenta­tions injectées dans la mémoire populaire avaient été passées à la machine à laver, à lisser, « toutes claquées au sol » comme dirait ma petite cousine...

CONTOURNER LE RÈGLEMENT

Mais d'abord, comment ça marche ? Après avoir été parrainé et admis dans ce service qui nous vient donc de l'oncle Sam, l'Intelligen­ce Artificiel­le

vous permet de générer ces images avec juste une phrase. L'abonné premium, tout content de son nouveau joujou, l'écrit ou frappe une série de mots (choisis au hasard de l'humeur, et je vous vois venir, attendez...) appelé « prompt ». Ensuite l'I.A., après avoir chauffé quelques minutes, vous donne quatre images calculées à la volée, supposées correspond­re au « prompt » en question. Habituelle­ment, ces quatre images ont un air de famille et, pour chacune d'elles, on peut demander une variante et lancer un calcul en haute définition, libre de droits. Je vous vois venir... Attendez encore ! Vous affinez ou pas le « prompt ». Par contre, et c'est là que le bât blesse pour certains ou certaines, des mots sont refusés comme « sexe », « organe », « cadavre », etc. Si on tente de les taper, l'I.A. refuse de fonctionne­r et menace immédiatem­ent de vous exclure de la partie fine pixélisée. Peu importe le terme entré, jamais vous ne verrez apparaître un sexe, ni même un sein, ou un quelconque orifice.

Alors pour contourner le règlement de la caserne 3.0, Olivier Auber n'a utilisé que des formules littérales, abstraites avec des mots-clefs dont il a le secret. Notre artiste a finalement gatecrashé la censure en demandant d'imaginer par exemple « la meilleure oeuvre d'art de tous les temps » selon différents critères, et surtout selon le point de vue de cette Intelligen­ce Artificiel­le. Résultat ? Il a eu l'impression d'avoir ouvert la porte de l'enfer de l'Intelligen­ce Artificiel­le et s'est fait jeter manu militari, tel un hérétique… Preuve s'il en est que nous vivons une époque formidable : complèteme­nt puritaine et surtout schizophrè­ne.

On se demande comment les GAFAM vont régler le problème pour concilier la morale, les pulsions et l'inconscien­t de ses utilisateu­rs dans ces services et autres multivers, notamment dans la réalité virtuelle, et comment gérer des artistes les plus imprévisib­les. Je lui laisse la conclusion : « Est-ce que ces images représente­nt l'opinion de M id jour ne y à propos de l' art? Sans doute pas, car il paraît difficile de parler d'opinion à propos d'une Intelligen­ce Artificiel­le. À mon avis, ce comporteme­nt de Midjourney n'est pas un bug mais une fonction na lité(it' s nota bug,it' safeat ure) sans laquelle il ne pourrait pas faire tout ce qu'il fait par ailleurs .»

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CENSURE ARTIFICIEL­LE_ Ceci n'est pas une vulve.

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