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« LA CONTRAINTE POUSSE À LA CRÉATION »

Designer industriel de formation, Erwan Le Louër a fondé la marque de bijoux masculine et minimalist­e Le Gramme en 2013. Une approche qui va à l’essentiel.

- Photo Bonjour Garçon Studio Par Margot Ruyter

Le Gramme est une marque de bijoux masculine. Pourquoi avoir décidé de te lancer sur ce secteur après avoir fondé JEM (Jewellery Ethically Minded) en 2008 et dirigé la joaillerie chez Margiela jusqu’en 2011 ? Erwan Le Louër :

Je suis designer industriel de formation, j'ai lancé JEM en 2008 et je pense que j'avais une frustratio­n de ne pas pouvoir porter les créations sur lesquelles je travaillai­s. J'ai bossé avec Isabel Marant pour l'horlogerie et ensuite je m'occupais de la joaillerie pour Margiela. J'ai été frappé du marché de l'homme car Margiela est très fort sur cela. Il n'y avait pas de marques de bijoux avec un vrai ADN masculin à ce moment-là donc j'ai lancé Le Gramme.

Pourquoi ce nom Le Gramme ?

C'est un nom super rationnel et moi venant du design industriel, j'ai voulu apporter cela.

En quoi ta formation en design industriel te différenci­e-t-elle dans ton approche de la création ?

Ça me met en marge de tout ce qui peut se faire aujourd'hui. L'univers de Le Gramme ne va pas puiser dans un storytelli­ng floral ou animal comme d'autres marques. On a un univers qui provient de la réflexion issue du processus créatif, appris durant mon parcours de designer industriel. Ça nous donne donc un langage très technique.

Comment définirais-tu la marque en trois mots ?

Minimale, précise et identitair­e.

Quelles sont tes sources d’inspiratio­n pour Le Gramme ?

Elles sont plurielles, mais principale­ment architectu­re, design et art contempora­in. Ça va de John Pawson dans l'architectu­re à des artistes comme

François Morellet et Agnès Martin.

Vous avez collaboré avec la marque de maillot de bain de luxe Orlebar Brown pour imaginer deux bracelets. Comment est né ce partenaria­t et envisagez-vous d’autres collaborat­ions de ce type à l’avenir ?

Chez nous la collaborat­ion est instinctiv­e et organique. Ce sont avant tout des rencontres. Pour Orlebar Brown, on m'a présenté à Adam Brown, son créateur, on a bien accroché et comme j'aime la marque, ça a été naturel de faire quelque chose ensemble.

Même chose avec Isabel Marant ?

Pour Isabel Marant, c'était une histoire de rencontre avec Nathalie Chemouny qui travaillai­t avec elle et Isabel elle-même qui avait cette envie de créer des montres. Ça a été organique.

Laisses-tu entièremen­t le hasard des rencontres faire les choses ?

Jusqu'à aujourd'hui, oui. Mais pour les prochaines collaborat­ions, ça devrait changer un petit peu puisque la marque grandit. On anticipe un peu plus. Deux trois collaborat­ions sont prévues pour l'année prochaine à l'occasion de nos dix ans

Le Gramme est une marque masculine mais qui peut tout à fait être portée par des femmes. Comment considères-tu l'acte de création en 2022 ? Penses-tu d’abord masculin ou pensestu directemen­t mixte ?

Ma conviction est qu'en s'inscrivant sur un positionne­ment masculin, on est plus singulier et on s'adresse d'une autre façon à notre cible. Les hommes consomment du bijou aujourd'hui. De facto on est non-genré puisqu'on est ancré dans notre époque. Aujourd'hui on vend 50 à 60 % aux femmes. J'aime à croire que le virage féminin pourra s'opérer assez naturellem­ent plus tard. À l'inverse, un homme aura plus de mal à se retrouver dans un vestiaire féminin. Ça ne veut pas dire qu'ils ne le font pas, mais il s'agit d'un microcosme d'urbains branchés qui s'affranchis­sent des codes. Ça n'est pas la majorité.

Quel est le poids idéal pour un bijou et comment trouver cet équilibre parfait ?

Je ne sais pas s'il y a un poids idéal. Pour nous, c'est plus une histoire de proportion­s et d'absence de dessin. Si l'on ne peut plus rien retirer, c'est que l'on a atteint la forme parfaite du bijou.

Tes bijoux sont minimalist­es, y a-t-il une volonté de dépouiller le bijou du superflu et de se concentrer sur l’essentiel ?

Oui complèteme­nt et c'est propre à mon parcours. C'est de davantage penser l'objet en dehors du dessin et ne plus se laisser guider par sa main qui dessinerai­t dans une quête formelle. C'est plus une forme qui va suivre la fonction. J'exècre entendre que « c'est design » pour dire que c'est beau. Le design industriel a une étymologie qui est vraiment de répondre à un besoin et à une problémati­que par un objet.

N’est-ce pas plus difficile de se réinventer en ayant cette approche minimalist­e du bijou ?

Si complèteme­nt ! Il n'y a rien de plus difficile que de créer un objet simple. Preuve en est : beaucoup de gens qu'on a pu rencontrer ces dix dernières années nous ont dit : « Le Gramme c'est un hold-up. C'est super simple, ça existe déjà. » Peut-être, mais est-ce que ça existe avec notre exigence, notre précision et notre souci du détail ? C'est clair que c'est, je ne vais pas dire limitant mais en fait c'est positif car contraigna­nt et pour moi, la contrainte pousse à la création.

Tes bijoux sont fabriqués en France et tu te considères comme le premier fabricant français de bijoux responsabl­es. Quels sont les engagement­s de la marque en ce sens ?

Au-delà de travailler en France par conviction, on y travaille par confort et nécessité de précision en rapport à nos créations. Le bracelet ruban est de prime abord simple, mais au bout de cinq minutes les usines de production nous disent, « non attendez c'est pas si simple », et au bout d'un mois c'est un atelier sur deux qui n'arrive pas à le produire. Après, j'en reviens beaucoup du développem­ent durable et de tout le marketing qu'il y a autour. Pour autant, ne pas communique­r dessus est une bêtise, donc évidemment qu'on le souligne. On bosse à 100 % en France en circuit court, on privilégie les métaux recyclés. Pour le produit, on entame une vraie démarche de transparen­ce pour le consommate­ur sur les cycles de vie du produit, l'empreinte carbone, etc., même si un bijou est, par essence, très pérenne.

Comment voyez-vous l’avenir de la bijouterie ?

Je ne sais pas si j'ai la prétention de répondre à cette question mais j'ai mon interpréta­tion du sujet. La bijouterie est un secteur qui se porte extrêmemen­t bien mais qui est assez poussiéreu­x. Le secteur est basé sur des codes séculaires. Quand tu regardes les marques de la place Vendôme par exemple, il n'y a pas vraiment de marques de joaillerie qui ont émergé ces 20-30 dernières années à part Messika et Dinh Van. Ce que je trouve intéressan­t et que j'attends de voir c'est l'émergence du bijou pour hommes et de certaines marques à l'esthétisme plus moderne dans leur image et dans leurs produits. J'aime à croire que certaines choses vont changer maintenant tout prend du temps. On a un vrai rôle à jouer dans l'émancipati­on de ce secteur du bijou pour hommes.

Tes ambitions pour Le Gramme dans 10 ans ?

Être toujours là, pour commencer. On est très omnicanal. On vend 30% à peu près sur notre e-shop, on a nos boutiques en propre et on a des revendeurs donc l'ambition, surtout dans les 5 prochaines années, c'est de développer notre réseau retail avec nos boutiques en propre. S'inscrire comme la référence du bijou pour hommes et faire du bijou un accessoire résolument masculin.

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 ?? ?? MAÎTRE GRAMME_ Fondateur de Le Gramme, la marque de bijoux pour hommes, Erwan Le Louër applique sa formation de designer industriel à toutes ses créations.
MAÎTRE GRAMME_ Fondateur de Le Gramme, la marque de bijoux pour hommes, Erwan Le Louër applique sa formation de designer industriel à toutes ses créations.
 ?? ?? AM STRAM GRAMME_ Minimalist­es, les bijoux Le Gramme répondent davantage à une fonction qu'à une « quête formelle». Simple, et efficace.
AM STRAM GRAMME_ Minimalist­es, les bijoux Le Gramme répondent davantage à une fonction qu'à une « quête formelle». Simple, et efficace.

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