« BOLLO, JE T’AIME ! »
Trublion pour Action Discrète, présentateur du Journal du Hard et désormais animateur aux Grosses têtes d’RTL, cet ancien de Canal+ publie Chagrin d’humour (Harper Collins, 2022). Une autobiographie à peu près sérieuse sur ¼ de siècle fantasque.
Après 24 années passées à Canal+, tu as été évincé du groupe (2020) à la suite d’une parodie de l’émission L’heure des pros (L’heure des pronos), que présente Pascal Praud. Aujourd’hui, tu as une chronique le matin sur RTL et tu interviens aux Grosses têtes. Ça n’aurait pas du bon d’être viré par Vincent Bolloré ?
Sébastien Thoen: Rétrospectivement, on peut dire que oui. D'autant plus que je n'y faisais pas grand-chose lorsque ça m'est tombé dessus. C'était donc bizarre d'être viré. Enfin, il m'a « viré », c'est selon la presse de gauche ça. Dans le livre, il y a la vérité. Le fait est qu'à cause de cette histoire, j'ai rencontré d'autres gens, notamment Laurent Ruquier et RTL ; c'est excitant.
C’est Ruquier qui a vu que tu étais disponible et qui t’a contacté ?
Ruquier est l'un des rares, dans les médias, qui me contacte pour que j'apparaisse dans son émission, lorsqu'il faisait encore le samedi soir avec Léa Salamé. Il voulait que je raconte l'histoire. Je lui ai répondu que je n'avais pas envie d'être poing levé et de dire « Ils ont tué l'humour ! », parce que je ne comprends pas ce qui se passe. Et puis, j'étais en négociation avec Canal+ pour gérer mon écartement.
Ça en est où ton écartement ?
C'est fait. Donc je dis à Ruquier, c'est sympa de parler de moi, mais je serais ravi de faire les Grosses têtes. Il me répond, ok, on essaye. Ça se passe bien et RTL me propose alors autre chose. Ils sont contents de récupérer l'esprit Canal, puisque Jonathan Cohen est trop cher.
Et penses-tu que Bolloré a réellement un projet politique ?
Bolloré est avant tout un capitaine d'industrie. C8, c'est deux petits tuyaux dans son empire et je pense qu'il aime autant Éric Zemmour que Mouloud Achour. Chacun lui sert différemment. Il y a en tout cas un projet spirituel sur CNews. Par exemple, l'émission catholique du week-end (En quête d'esprit, présentée par Aymeric Pourbaix, ndlr). Mais un projet politique ? Je ne crois pas. Pourquoi vas-tu te battre pour que l'extrême-droite ait une telle place dans ta programmation et en même temps avoir Achour et l'équipe du Jamel Comedy Club ? Même si les humoristes, pour les trois-quarts, ne vont pas sur le terrain politique et que le dernier quart, comme ils veulent faire des séries avec Canal+, ferme sa gueule. Bolloré est beaucoup plus compliqué que ça. C'est un punk d'extrême-droite. À quoi lui sert Morandini par contre ?
Il y a une sorte de fidélité à Bolloré…
Il a été cool finalement avec moi. Je suis parti avec un chèque, il ne m'embête pas plus que ça et il ne faut pas oublier que sur les Inrockuptibles, ce magazine gauchiasse, j'ai dit que Bolloré était un type extraordinaire. Beaucoup de gens vivent grâce ou à travers lui et ne veulent pas d'emmerdes, comme Alex Lutz, Jonathan Cohen, Antoine de Caunes, mais ils ne le défendent pas frontalement. Alors que moi si. Donc je n'ai pas compris quand il m'a tapé sur les doigts. Putain Vincent, je suis le seul à dire dans la presse que je t'aime !
Tu as refusé de parler à la télé de ta sortie du groupe Canal+, mais tu as accepté la proposition d’Harper Collins pour ton autobiographie. Pourquoi ?
Il y a un vrai coup de coeur affectif, ils aiment bien sortir des livres de comiques ou de musiciens. Et comme je commençais à raconter les coulisses d'Action discrète, du Journal du Hard, je voulais aussi revenir sur le fait d'être comique aujourd'hui : qu'est-ce qui se fait ou pas ? À qui tu t'adresses ? Pourquoi faire ce métier ? Qu'est-ce qui a changé en vingt ans ?
Et qu’est-ce qui a changé ?
Internet, pour commencer. Maintenant, les gens qui ne nous aiment pas le disent. Tu prends les commentaires dans la gueule, mais surtout tes patrons les voient. Puis Internet soulève l'indignation immédiatement, des bad buzz, des pétitions, la presse qui s'emballe pour trois fois rien. L'arrivée également d'un mouvement formidable, les terroristes, où après un sketch tu peux prendre une balle. On pense aux collègues de Charlie Hebdo...
Même en 2012, tu le racontes très bien dans le livre, vous preniez des minis bad buzz, avec Action Discrète.
Oui, comme la presse ne vend plus grand chose, ce sont les sites des magazines qui, dès qu'il y a un bad buzz, font le relai. Et Télé Loisir de dire : « Ce sketch divise la toile » ; expression géniale. Globalement, quand tu fais de l'humour télé, à qui vends-tu tes sketchs ? À un ancien clown ou à un ancien d'HEC ?
Tes trois meilleures et tes trois pires émissions ?
Mon meilleur moment, c'est Action Discrète, parce que si ce n'est pas à Canal+, on ne peut le faire nulle part. En deux, Le Journal du hard. Je faisais surtout des plateaux et puis quelques tournages. Et en trois, Les Grosses têtes. On est juste là pour se marrer et faire rire les gens. Et même si ce n'est pas toujours drôle, c'est grand public, il faut préserver ça. Et mes trois pires : d'abord, Le Grand journal, car la plupart des gens qui y passent acquièrent une certaine notoriété, moi je suis sorti sans rien de plus, donc c'est une déception. En deux, la radio : j'ai fait Europe 1 avec Daphné Bürki et Ariel Viessmann, une émission qui s'appelait Bonjour la France. Je m'éclatais, c'était vachement bien, mais ça n'a duré qu'un an. Et en trois, c'est lorsque je n'arrivais pas à vendre mon scénario sur les supporters de football à Canal+.
« CE QUI A CHANGÉ ? MAINTENANT, LES GENS QUI NE NOUS AIMENT PAS LE DISENT. »