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Y A-T-IL UNE VIE APRÈS LES MÉDIAS ?

- Par Violaine Epitalon Photo Arnaud Juhérian

Pendant plus de quinze ans, Sonia Devillers a été une spécialist­e de l’actu médias, d’abord dans la presse écrite puis à la radio. Aujourd’hui, elle tient le crachoir aux « inconnus, connus et reconnus » dans la matinale de France Inter. Interro surprise. Vous avez fait paraître votre premier roman, Les Exportés (Flammarion), l’an dernier. L’écriture y est rythmée et nerveuse. C’est la déformatio­n profession­nelle due à vos vingt ans de radio ?

Sonia Devillers : Pendant quatre ans, à France Inter, j'ai fait des éditos face à Nicolas Demorand. Son injonction était toujours la même : il me regardait droit dans les yeux et disait : « Moins de mots ». C'est un personnage de Beckett qui parle de moins en moins, mais existe de plus en plus. Alors oui, ça m'a appris à dire beaucoup en faisant court, tout en tenant l'auditeur. Ou le lecteur en l'occurrence.

Avant votre apprentiss­age radio, vous avez passé dix ans au Figaro (elle y arrive en 1999), dans les pages médias et communicat­ion.

Oui, j'y suis restée pendant des mois en « stage », mais sans convention. Je n'avais pas fait d'école de journalism­e, mais c'était la norme, on rentrait un peu comme on voulait dans les journaux. J'y ai trouvé ce que je cherchais : le travail en collectif et sur une matière mouvante. Là, à force de toujours faire pour le lendemain, sur le temps court, on devient une machine à produire, on perd tous les états d'âmes que j'ai pu connaître à l'université (Sonia Devillers préparait l'agreg de philo avant d'arriver dans le quotidien, ndlr). Mais j'ai quand même mis douze heures à écrire mon premier article (rires).

C’était comment le Figaro à l’époque ?

Tout le monde venait de milieux différents. À la fin des années 1990, c'était drôle d'être au Figaro. La numéro deux de mon service avait voté Lutte Ouvrière toute sa vie, et jamais elle n'aurait accepté de travailler au Monde ou à Libération, qu'elle qualifiait de « socio-traîtres ».

Le traitement des médias, vous avez accroché tout de suite ?

Les médias en tant que tel ne m'ont jamais intéressée, non. Mais se servir des médias comme porte d'entrée pour raconter toute notre époque, c'est génial et inépuisabl­e. Et puis je travaillai­s avec Emmanuel Schwartzen­berg (directeur de la page média-publicité du Figaro à l'époque, ndlr). Ça, c'était un personnage, inclassabl­e. Il m'a appris mon métier. Il savait faire des coups, sortir des infos au bon moment, dealer d'énormes exclusivit­és, entretenir son carnet d'adresses.

Comment s’est passée la transition de la presse écrite à la radio ?

Je me suis fait virer du Figaro –

c'était un plan social déguisé. J'ai vu ça comme une chance. Ça a été un basculemen­t, même si j'avais déjà une chronique à ce moment-là chez France Inter. Isabelle Giordano était venue me chercher en 2005 pour son émission Service public pour des chroniques liées à la publicité. Puis Philippe Val est arrivé et m'a confié le 9h-10h. Je n'avais jamais fait d'interview radio de ma vie.

Comment foire-t-on une interview ?

Quand on est en face de quelqu'un qui n'est pas généreux, par exemple. Vous avez beau avoir travaillé, tout prévu, vous ramez quand vous êtes en face d'une personne qui ne donne rien. J'ai déjà eu des gens qui restaient à un mètre du micro, les bras croisés.

De quelle façon êtes-vous retournée à l’actualité médias ?

En 2014, Philippe Val est limogé et remplacé par Laurence Bloch. Avec Frédéric Schlesinge­r (numéro deux de Mathieu Gallet, PDG de Radio France à l'époque, ndlr), elle décide de rétablir une émission sur les médias dans la matinale. Alors évidemment, je me suis proposée… même si je n'avais aucune envie de remettre un pied là-dedans. Mais il fallait bien manger.

Et vous avez créé un vrai rendez-vous média, L’Instant M.

Je me suis battue comme une dingue pour faire exister cette émission. C'était ingrat au début, face à Morandini sur Europe 1, qui était un mastodonte de l'actu médias avec quatre fois mon audience et un carnet d'adresse monstrueux. Tout le monde venait chez lui pendant qu'on me riait au nez. Et puis, avec l'arrivée de Salamé, Trapenard, Nagui, notre grille s'est mise à cartonner. Et grâce à Catherine Nayl (directrice de l'informatio­n, ndlr), on m'a confié un édito sur les médias

Quelle était votre méthode de travail ?

J'épluchais les rubriques médias du Fig, de Libé, du Parisien, des Inrocks aussi, sans oublier le blog de Morandini qui était une vraie source. Petit à petit, j'ai formé mon propre réseau, mon carnet d'adresse avec les fauves du milieu.

Pendant huit ans, vous avez donc décrypté les médias...

(Coupe) Je n'utilise pas le mot décryptage, jamais ; je ne l'aime pas du tout

Pourquoi ça ?

Il est galvaudé et utilisé à toutes les sauces. Et surtout, j'ai l'intime conviction que les médias ne sont pas cryptés. On s'adresse à trois génération­s d'auditeurs : les boomers nés après guerre, qui ont vécu avec la presse écrite, la radio et le cinéma. Ma génération, qui a connu la télévision, et celle de mes enfants, nés la même année que Youtube. J'ai affaire à des gens qui ont une très bonne compréhens­ion de ce que sont une image et une informatio­n. Les médias ne sont pas un monde souterrain et manipulate­ur. En revanche, je suis pour l'analyse, la pédagogie, la connaissan­ce. On peut apporter des clés d'analyse, des choses que les gens ne savent pas sur les lois, les règles, la déontologi­e, faire connaître les métiers de l'ombre, des noms, réfléchir ensemble avec mes invités à comment fonctionne ce système.

De l’analyse, c’est ce que vous faites sur Arte, avec votre nouvelle émission Le Dessous des (depuis décembre 2022) ?

images

Oui, tous les jours, j'analyse pendant onze minutes une image d'actualité. Mais je m'adresse encore une fois à un auditoire qui a déjà une culture de l'image. Ce serait une erreur de penser que les images sont cryptées pour qui que ce soit.

Quel a été le plus grand turnover du monde des médias ?

Le grand changement, c'est qu'il y a vingt ans, l'épicentre des médias français était à Paris. Je l'ai vu petit à petit se déplacer en Californie, avec l'arrivée de Youtube, Facebook et Twitter en France. L'argent est parti avec eux, il va davantage dans les séries, les fictions, d'autres types de narrations. Et puis j'ai vu le bassin des invités se raréfier à la radio. Sans parler des phénomènes de concentrat­ion, désormais bien connus.

Depuis le début de l'année, vous avez troqué les médias pour recevoir « L'Invité de 9h10 » à votre micro, toujours dans la matinale de France inter. Quelle personnali­té rêvez-vous d’interviewe­r ?

Kim Kardashian. J'essaie depuis des années. C'est une machine de guerre de communicat­ion. Elle est aussi inaccessib­le que Poutine. Mais il faut bien avoir des défis dans la vie.

« L'Invité de 9h10 », sur France Inter dans Le mag de la matinale (7/9h30) Le Dessous des images, tous les jours sur Arte

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