JEAN QUI GROGNE ET JEAN QUI RIT
Leader de Mustang et meilleur parolier de France, Jean Felzine sort son premier album solo – un disque intimiste, à la fois mélancolique et grinçant. Indéboulonnable.
Jean Felzine n’est pas le genre de gars qui accepte facilement
les compliments. Il y a deux ans, alors que nous l’interviewons près de chez lui à Montreuil et que nous tentions de le flatter en lui parlant de ses paroles, il nous avait répondu ça : « Noir Désir c’était de la très mauvaise poésie, et je n’aime pas les textes de Brassens, je préfère ceux de Lou Reed ou des Ramones. La littérature et la chanson, ce n’est pas la même chose : chanter n’est pas une activité intellectuelle mais physique. Des textes très simples prennent une autre dimension grâce au chant, quand des poèmes s’écrasent. Mais on est dans un pays où les gens ne comprennent rien à la musique… Même les journalistes musicaux sont ignares en technique musicale. Donc on regarde les textes. Au début, on me disait que les miens étaient stupides, et maintenant je suis passé dans la catégorie auteurs, quelle promotion ! » Avec l’ignorance crasse qui nous caractérise en termes de technique musicale, nous avons une fois de plus flashé sur les paroles de son nouveau disque – et sur son interprétation. Comment fait Felzine pour être si juste dans chacune de ses chansons quand tant de ses confrères sortent des pensums où tout sonne faux ?
VIEUX BRISCARD
Le Robert Pattinson de la scène rock française est né en 1988. Il va donc fêter ses 35 ans. Révélé en 2009 le jeune espoir est déjà un vieux briscard, qui a beaucoup enregistré avec son groupe Mustang et en duo avec son ex-compagne Jo Wedin. Sous son nom, il n’avait jusqu’ici publié que le EP Hors l’amour en 2019. Chord Memory est son premier album solo et on se demande pourquoi Felzine a tant tardé : il y est artistiquement en grande forme, même si le moral semble en berne. Comme d’habitude, il n’évite aucun tabou et parvient à transformer en or n’importe quel sujet – ici, la stérilité masculine dans « À blanc ». Il est aussi question d’un trentenaire qui retourne chez sa mère (« Doudou »), d’espoirs déçus (le superbe « Je vis quand même ») ou de son goût pour la culture geek (« Fanfiction »). Tour à tour narquois et désenchanté le crooner n’oublie pas ses racines, qu’il sait comme personne réinventer et moderniser : il reprend ainsi brillamment « Dans la rue » d’Aristide Bruant. Mais peut-on parler d’autre chose que des textes ?
Selon Felzine lui-même, Chord Memory c’est « Roy Orbison et Maurice Pialat qui jouent du synthé ». Il cite aussi William Sheller, The Blue Nile et même PNL. Le réalisme des paroles n’empêche pas la stylisation de l’enrobage. Aux manettes de ce disque, on trouve un autre génie de la génération de Felzine : Adrien Durand (le cerveau de Bon Voyage Organisation). On pense à l’association entre John Cale et Brian Eno sur Wrong Way Up, à la BO de Philadelphia (les titres de Bruce Springsteen et de Neil Young), à ces albums qui mélangent chanson et musique électronique minimaliste. Il y avait déjà un titre comme ça sur le premier Mustang : « C’est fini », où le groupe reprenait Aphex Twin. Rien n’est fini pour Jean Felzine. L’avenir lui appartient.