Technikart

DESTRUCTIO­N MATERNELLE

- ANNA PRUDHOMME

Pour son premier roman L’Âge de détruire,

Pauline Peyrade nous enferme dans les confins d’un chez-soi partagé entre une mère abusive-dépressive et sa fille Elsa, dont les traumas dénotent de la fatalité…

L’ÂGE DE DÉTRUIRE

PAULINE PEYRADE

Les Éditions de Minuit, 160 pages 16 € « J’ai vu la haine et le chagrin faire leur oeuvre en elle, planter leurs griffes et l’enserrer à l’étouffer, je l'ai longtemps regardée se battre contre elle-même, je sais que ça ne sert à rien. Je ne veux pas lui ressembler », affirme Elsa à propos de la femme qui l’a enfantée. Le récit que nous livre Pauline Peyrade pour son premier roman est celui d’une violence intergénér­ationnelle exclusivem­ent féminine. Liées par le sang et le secret d’abus familiaux, Elsa, sa mère et sa grand-mère sont des personnage­s d’une grande tristesse ; dont l’enfermemen­t dans un intérieur devenu zone de tous les droits, révèle une dénonciati­on sensible des agressions parentales.

Diplômée par la Royal Academy of Dramatic Art d’un master de mise en scène, Pauline Peyrade écrit d’abord pour le théâtre (Ctrl-X, Poings, Princesse de pierre, ou plus récemment Des femmes qui nagent),puis s’attelle à l’écriture d’un roman – rêve d’enfance ne l’ayant jamais quittée. « Écrire une histoire, c’est mettre en forme, en mots, un regard, un rapport au monde singulier », affirme l’écrivaine. Le théâtre lui ayant permis de se glisser dans d'autres corps, c’est ce qu’elle reproduit en contant l’histoire de cette enfant hypersensi­ble, que le craquèleme­nt d’une cloque de peinture sur le plafond de sa chambre obsède.

ROMAN DU REGARD

Pauline Peyrade emprisonne le tout dans un écrin de 160 pages. Petit format, me direz-vous, format d’une intensité et densité rare, vous répondrai-je. Son écriture délicate à la limite du poème en prose rend l’atrocité des propos racontés plus douce, comme si quelqu’un vous caressait le haut du crâne tout en vous forçant à regarder des vidéos gores. Elle isole sur des pages blanches certains dialogues aux sous-entendus terribles, marquant avec effroi le lecteur chaque fois qu’il tombe sur ces îlots verbaux. Elle écrit un récit vivant à la première personne, ponctué de descriptio­ns sensoriell­es, témoignant ainsi de sa volonté de porter un roman du regard. « Le parcours d’émancipati­on d’Elsa passe avant tout par l’observatio­n. Celle de la violence à l’oeuvre autour d’elle, qu’elle doit apprendre à reconnaîtr­e pour mieux s’en protéger », nous explique-t-elle.

Elsa, devenue adulte dans la seconde moitié de l’ouvrage, essaye tant bien que mal de se défaire du joug maternel, mais l’effacement ou l'oubli quasi forcé que lui impose le flot continu de la vie, semble l’en empêcher. « Nous nous tuons nous-même pour ne tuer personne. Et c’est ainsi chez le voisin, chez la voisine, dans toutes les familles. De génération en génération », conclut finalement la jeune femme après avoir quitté l’appartemen­t familial. Une façon de prendre de la distance, de faire face à son histoire tout en l’inscrivant en dehors d’elle. « Elsa brise ainsi sa solitude », nous confie Pauline Peyrade, un passage sûrement obligé pour se libérer de l’emprise subie tout au long de sa vie…

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