VACANCES À AUSCHWITZ
Le scénariste préféré de Hubert Selby Sr. et de Ben Stiller, Jerry Stahl, revient avec une « immersion dans l’immonde » de la Shoah version touriste. Salutaire.
NEIN, NEIN, NEIN !
JERRY STAHL (Rivages, 352 p., 22 €)
Le devoir de mémoire est une affaire de souvenir. Mais aussi de souvenirs – au pluriel, donc. Au sens, oui, de la boutique où l’on vient acquérir quelques bibelots fabriqués en Asie, à l’effigie du lieu que l’on vient de visiter. Voilà l’un des constats, effarants, effectué par Jerry Stahl dans ce reportage édifiant qu’est Nein, Nein, Nein !. Une version très allongée d’une commande pour Vice, dont le sous-titre servira d’esprit général : « La dépression, les tourments de l’âme et la Shoah en autocar ». En 2016, ça ne va pas fort pour notre homme, alors âgé de 63 ans. Un petit bilan de sa vie ? Cet Américain ayant séjourné un temps en Europe s’est retrouvé à écrire pour diverses publications – dont Hustler – avant de faire la petite main pour des séries, parmi lesquelles Alf et Twin Peaks - grand écart… Accro à l’héroïne – et atteint d’une sévère hépatite C –, notre homme signe des Mémoires, qui inspireront un film à succès avec Ben Stiller, Permanent Midnight et offriront à Stahl une certaine notoriété outre-Atlantique. Ce qui lui permettra de côtoyer Jerry Bruckheimer et rejoindre le pool de scénaristes de... Bad Boys 2 et de la série Les Experts. En outre, celui qui fera de la figuration dans Zoolander et Inland Empire signera quelques romans assez barrés (les titres suffiront : À poil en civil ; Perv : une histoire d’amour ; Thérapie de choc pour bébé mutant…).
Mais, voilà, ça ne va pas fort pour lui. Alors, pourquoi, au moment où pullulent les aberrations de l’Amérique trumpienne, ne pas se lancer dans un voyage en autocar en Pologne et en Allemagne, « pour voir de l’intérieur le fief des authentiques nazis du cru ? » Et ainsi s’offrir, aux frais de Vice, « deux semaines de vacances itinérantes à travers les sites sordides-phares et autres
lieux de l’Europe des années trente et quarante » ? Le tout organisé par des professionnels qui vous font découvrir « le Pays
des Vrais Nazis ». C’est donc parti pour une odyssée touristique hallucinante et moralement décomplexée, pour des voyageurs songeant davantage à des lieux de tournage de blockbusters hollywoodiens qu’à des sièges de l’horreur.
PIÈCE DE MONNAIE
Sur un sujet casse-gueule, Jerry Stahl trouve un ton imparable, entre observation au scalpel et humour désespéré, brossant le portrait de ses compagnons, contraints aux « chaussures confortables ». Notre reporter a aussi le chic pour s’attarder sur des détails ou situations sidérantes, comme ces quidams en t-shirts Megadeth dans les camps de la mort, ces statues de « juif miniature porte-bonheur » tenant une pièce de monnaie (ou « zydki ») qui sont censées assurer la prospérité, sans oublier l’inénarrable snack-bar d’Auschwitz permettant à tous ces gens « venus rendre hommage aux victimes de la Shoah [de pouvoir conclure l’expérience] en se goinfrant de hot-dogs, de crème glacée, de burgers [ou] d’une petite
sélection de plats polonais bien relevés ». Mais même pas casher… Jerry Stahl ose tout avec cette « immersion dans l’immonde », et ça passe, ça fait mal. À l’image de l’origine du titre, inspiré par une ex de l’auteur, allemande, qui, pendant l’amour, répétait « Nein, Nein, Nein ! » en ajoutant « je suis en train de me faire sauter par un juif ! » Franchement, comment ne pas donner un grand oui à un bouquin aussi culotté ?