«AUSSI VIRIL QUE QUEER »
Je vous écris ceci un mardi soir, 21 h 20, posé sur ce coin de bureau enseveli sous les différentes éditions internationales du Harper's Bazaar – notre rubrique médias prend le futile très au sérieux – et des restes d'une livraison Sushi Shop (merci le service compta'). Autant dire que le magazine s'imprime demain, ce qui fait que tout semblant de vie familiale ou sociale se retrouve en stand-by depuis une semaine. La plupart des amis du numéro sont au défilé Saint Laurent, la chance, et nous, l'équipe du bouclage, nous nous retrouvons dans l'open-space déserté, à remplacer des photos pixellisées, à fact-checker des citations de Bossuet et à reconfigurer l'ordre dans lequel vous découvrirez les différents articles du magazine… Ô magie de la presse écrite, cet artisanat coincé dans un espace-temps situé quelque part entre les expériences de Gutenberg et l'hystérie fin de règne du Twitter de Musk.
En imaginant les différents déroulés possibles de ces pages, nous finissons par nous rendre à l'évidence. Alors que nous oeuvrons pour donner à ce magazine une identité fluide, post-genrée même, débarrassée des diktats hétéro-beaufs ayant façonné nos jeunes années, il faut bien se l'avouer : cette livraison printanière sent le vestiaire. Celui dans lequel notre coverstar, le flamboyant Michael B. Jordan, s'entraîne pour reprendre le flambeau des Rocky avec sa franchise Creed. Mais aussi celui squatté par la star du tatouage Clément Grobotek, également à l'honneur de notre dossier, heureux de revendiquer le fait d'être « aussi viril que queer ». Deux salles (de gym), deux ambiances.
L'un incarne une masculinité post-Metoo, débarrassée d'une bonne part de toxicité et matinée de zen (Michael médite avant ses séances de muscu'). L'autre joue avec les codes virils – on le croirait dessiné par Tom of Finland – tout en assumant son extrême sincérité. Et chez les deux, cette même idée enthousiasmante : une virilité qui serait ni cliché ni toxique est bel et bien possible. Pouvoir l'envisager après avoir gobé tant d'articles sur l'avènement d'un « nouvel homme » fait un bien fou. Celui-ci, si fier de porter un peu de make-up ou une jupe plissée sur un red-carpet, s'est le plus souvent révélé parfaitement incapable de s'affranchir de ses comportements les plus problématiques (nous posions d'ailleurs la question « l'homme woke est-il une arnaque ? » il y a quelques mois). Bref, prenons exemple sur messieurs Jordan et Grobotek (et laissons monsieur Styles à sa comm').
Sur ce, je vous laisse : j'ai ma carte d'abonnement au Stayfit du quartier Montorgueil à renseigner, et une décision de la plus haute importance à prendre : le VOD me propose le Cobra de Stallone ou le Querelle de Fassbinder pour mon entertainment du soir. Que choisir ?
Bonne lecture, on se retrouve dans un mois,
PS : Est offert avec ce numéro un supplément spécial « Architecture et urbanisme » réalisé en collaboration avec la revue Urbanisme.