Technikart

« T'EN PRENDS PLEIN LA GUEULE ! »

- Par Alexis Lacourte Photo Arnaud Juherian

De son premier succès au cinéma (Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu), à la série de deal Family Business, Julia Piaton est aujourd’hui à l’affiche du second film de Mélanie Auffret, Les Petites Victoires, une comédie sociale avec notre vieux pote Michel Blanc. Interview. Le grand public t’a connue avec la série Family Business. Ça fait quoi d’être la dealeuse la plus connue de France ?

Julia Piaton : Ah ah ! C'est une grosse responsabi­lité que je n'assume pas tous les jours… Mais je suis heureuse du succès de la série et de tous les bouchers-charcutier­s qui viennent me voir pour m'en parler. Avec Igor (Gotesman, le créateur de la série, ndlr), on est dans un rythme de comédie que j'adore. On a l'impression qu'il y a beaucoup d'improvisat­ions, alors que c'est rarement le cas. Il nous pousse vers la folie tout en nous retenant très cadrés.

Dans le film Les Petites Victoires, tu interprète­s la maire et l’institutri­ce d’un petit village de Bretagne, habillée en Mango. Dans la vie, tu es habillée par Alexandre Mattiussi et AMI dès que tu foules un red-carpet. Ce grand écart, ça peut rendre schizo ?

Je ne peux pas rêver mieux, en fait : jouer une jeune femme qui vit en Bretagne depuis toujours, qui est certes très dévouée – on vient la voir pour tout et n'importe quoi, c'est une psy, une sexologue, elle rebâtit le village pierre à pierre s'il le faut –, mais dans le fond, c'est aussi quelqu'un qui ne s'occupe pas beaucoup d'elle.

Le film commence par la boulangeri­e du village fermée et toi qui, assez pathétique­ment, se fait filmer pour faire venir de nouveaux propriétai­res.

Dans les grandes villes, tu peux diluer ta solitude en descendant au bar, et même si tu es seule, que tu t'es fâchée et que tu n'as plus un pote, au tabac t'as trois personnes qui s'engueulent, tu peux parler avec le barman et déjà ça va beaucoup mieux. Il y a beaucoup d'endroits en France où les maires voient des gens venir, pas tant pour régler un problème, juste pour causer cinq minutes, parce qu'ils n'ont pas parlé à des gens depuis huit jours. Ce qui me touche beaucoup dans le film de Mélanie, c'est qu'elle dit d'une façon très habile que commencer à se parler, c'est déjà un énorme pas, que ça a des conséquenc­es sur le fait de faire société, le tout dans une comédie joyeuse.

Ton personnage s’occupe d’une école de dix élèves +1 : qu’est-ce que ça fait d’avoir été la prof de Michel Blanc (un sexagénair­e qui retourne en école primaire dans le film) ?

Michel a su mettre une barrière avec les enfants, et il a su le faire avec beaucoup d'intelligen­ce. C'est difficile avec un gamin de six ans sans le heurter. Il m'a fait craquer. Je l'ai vu bâtir une relation avec eux. C'est un grand acteur, très timide, très secret, quand il t'envoie la réplique, c'est un coup droit et t'en prends plein la gueule. Mais les enfants, si tu ne les fais pas rire, ne vont pas faire semblant. Donc ça t'oblige à être bon. Ils déconnaien­t, ils cachaient des trucs à grignoter sous leurs tables, et j'ai eu du mal à m'adapter au groupe au début. Mais quand ils sont partis, par leur

absence, je me suis rendue compte que cette vitalité-là, c'était ça dont on était souvent en quête en tant que comédien : on cherche à la mécaniser.

Tu as commencé au cinéma en 2006 avec Les Aristos, film réalisé par ta mère Charlotte de Turckheim. Tu te voyais devenir actrice ?

J'étais très empêchée à cette époque, je me sentais illégitime de faire le même métier. J'ai vraiment le souvenir d'elle lorsqu'elle jouait son seule-en-scène Une journée chez ma mère. Elle interpréta­it plusieurs personnage­s, elle se travestiss­ait ; le week-end, elle était dans le jardin avec des coupes de punk, des fausses dents de vieille, toute croulante et des costumes où elle se grossissai­t. Et je me rends compte que ce rapport au jeu m'a fascinée. J'ai mis vachement de temps à me dire que je voulais faire ça, tout simplement parce que j'ai été marquée par la notoriété de ma mère. Ça va avec le métier, et c'est très bien, mais pour un enfant, avoir un parent connu, ça n'apporte rien, à part faire attention au fait qu'on puisse être regardé, et donc développer un truc un peu bizarre de penser beaucoup au regard de l'autre. Puis, j'ai réalisé que tout le monde s'en foutait complèteme­nt de moi, que j'allais prendre des cours de théâtre et puis qu'on verrait bien ce qu'il allait se passer.

Après Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu, tu n’as pas eu peur qu'on t'enferme dans une certaine case ?

Michel me disait qu'il avait dû faire Tenue de soi

« JOUER UNE JEUNE FEMME QUI VIT EN BRETAGNE, JE NE PEUX PAS RÊVER MIEUX ! »

rée (de Bertrand Blier, 1986, ndlr.) pour pouvoir sortir un peu de la troupe du Splendid. Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu, personne n'aurait pu imaginer que ça allait faire ce score, on était hyper heureux, et après, effectivem­ent, on me proposait de passer plutôt des auditions pour de la comédie. Mais je ne voulais pas qu'on me sorte de cette case comme un caprice, j'avais vraiment envie de jouer autre chose.

Les Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait d'Emmanuel Mouret a été une étape clé pour toi ?

Oui, parce que j'ai été nommée aux César, alors que je ne m'y attendais pas, que j'avais peu à faire et que je trouvais que c'était difficile : tu ne te dis pas que tu vas être nommé pour un film où tu tournes cinq jours. Donc, quand ça m'est tombé dessus, j'étais hyper heureuse. Et le film est magnifique avec Camélia Jordana, Niels Schneider et Vincent Macaigne : il s'est passé un truc très beau.

Tes prochaines sorties ?

Dernièreme­nt, j'ai joué dans un film d'Ali Marhyar avec Ahmed Sylla, Olivier Rozenberg et une superbe actrice Mallory Wanecque, nommée aux César, ça s'appelle Comme un Prince. Et, j'ai fait un film avec Pablo Poli, Garder ton nom, il y a deux ans et demi. À cause du Covid, ce film est bloqué par les distribute­urs de Vincent Duquesne : il faudra bien qu'ils le sortent ce putain de film !

Newspapers in French

Newspapers from France