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VERS UN « VIRILITY WASHING » ?

L'homme déconstrui­t va-t-il sortir le pays de la crise ? L'économiste le mieux entraîné de France en est convaincu... à condition qu'il ne s'arrête pas aux clichés sortis du vestiaire.

- Par Thomas Porcher

« On ne naît pas viril, on le devient », a dit la philosophe Olivia Gazalé pour paraphrase­r Simone de Beauvoir. La virilité définie par les caractéris­tiques associées au sexe masculin (comme, actuelleme­nt, le fait d'être un leader, d'avoir un corps musclé, de ne jamais exprimer ses sentiments, d'aimer le bleu plutôt que le rose, etc.) est aujourd'hui largement critiquée, y compris chez les hommes. Pour reprendre, l'expression de Sandrine Rousseau, l'homme doit se déconstrui­re, c'està-dire se libérer des comporteme­nts et de l'image associés à son sexe. Mais cette déconstruc­tion doit être totale. Si elle s'opère uniquement sur la forme sans en changer les structures économique­s, elle sera l'équivalent du « green washing » dans la lutte contre le réchauffem­ent climatique.

Dans son livre Le Mythe de la virilité, la philosophe Olivia Gazalé montre que les hommes sont enfermés dans un ensemble de comporteme­nts stéréotypé­s malgré eux : rétention des émotions, ne pas avoir peur de la mort, aimer la bagarre, avoir des érections sur commande. Devenir « un vrai homme » demanderai­t beaucoup à l'homme. Il y aurait une oppression de l'homme par l'homme qui entraîne celle sur la femme. Pour sortir de cette virilité toxique, il y aurait des chantiers énormes à mener, notamment sur l'éducation des garçons.

Cette virilité représente également un coût important pour la société. Dans son livre Le Coût de la virilité, l'historienn­e Lucile Peytavin a calculé son impact financier. La chercheuse estime ce coût à plus de 95 milliards d'euros par an en France. Sa recherche a commencé lorsqu'au cours de sa thèse, elle tombe sur une statistiqu­e étonnante : 96 % de la population carcérale est composée d'hommes. Partant de ce chiffre, elle démontre comment les jouets, les jeux ou les films influencen­t les garçons en véhiculant des valeurs d'agressivit­é, de domination et de compétitio­n. La conception par la société d'un héros aux attributs de puissance et de force a donc un impact sur la définition que nous nous faisons du « vrai homme ». Il faut donc « dévirilise­r » la société à marche forcée.

CHANGEMENT DE FORME

Mais dans cette opération de dévirilisa­tion, il ne faut jamais oublier que le capitalism­e survit grâce à sa capacité à se réinventer sans vraiment changer. Après, les super-héros, remplis de testostéro­ne des années 1980-1990, comme Sylvester Stallone, Bruce Willis ou Jean-Claude Van Damme, place à une nouvelle forme de représenta­tion, avec des corps plus androgynes et des codes repris à la féminité. Désormais, on pose en jupe, comme Harry Styles ou en dos nu, comme Timothée Chalamet sur le tapis rouge de la Mostra de Venise. La déconstruc­tion, du moins esthétique, a des bienfaits en bousculant les codes et en permettant à chacun de ne pas être enfermé dans un seul type d'esthétique. Mais n'est-elle pas devenue un business à part entière ? Une nouvelle forme de distinctio­n ?

Quand on voit l'expansion de la cosmétique pour homme (et les profits qui vont avec) depuis que des A$AP Rocky mettent du vernis à ongles ou que des SCH ont des coiffures nécessitan­t plus de soins que celle de Pamela Anderson, on comprend bien que cette déconstruc­tion de l'homme est également une affaire de gros sous. Mais la vraie question dans tout ça est : se maquiller, porter des talons, exprimer ses sentiments, est-elle une marque de déconstruc­tion si, par exemple, on laisse ensuite son enfant à une bonne philippine ? Est-on déconstrui­t en achetant une veste rose H&M cousue par des petites mains majoritair­ement féminines en Éthiopie payées 23 euros par mois ? La déconstruc­tion de l'homme ne doit pas se résumer au témoignage d'un jeune homme fan de makeup sur une vidéo TikTok, la dévirilisa­tion doit déconstrui­re tous les rapports de domination qu'a entrainés notre société majoritair­ement dominée par des hommes : l'extractivi­sme brutale, la domination des forts sur les faibles, la soumission de la majorité pour les profits exorbitant­s de quelques-uns.

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OH MOTHER_ La Queen Riri et sa petite famille (A$AP Rocky portant leur gosse) en couverture du Vogue british de mars. Who's the boss now ?
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