L’IDÉE : « JE SUIS UN MAXIMALISTE. JE SUIS UN MINIMALISTE. »
Mathias : Sur la pochette de My Beautiful Dark Twisted Fantasy, on voit bien qu'il manque un truc sur toute la partie rouge. On peut trouver ça très beau, mais bon, il y avait normalement « Kanye West » écrit, tout autour du carré, comme un cadre doré, comme ce qu'il y aura sur les foulards. Sauf que, on avait visiblement été trop loin et, dans notre dos, il a repris le contrôle, même si le projet fini avait été accepté. Michaël : On a découvert la pochette quand l'album est sorti – il avait saccagé tout ce qu'on avait fait. Mathias : Au départ, ce n'était pas l'album rouge. Il y avait l'idée d'une peinture de George Condo, interchangeable – un petit carré dans lequel on peut glisser la peinture – et tout autour, un ornement. Il a changé les couleurs et le placement, qui n'est plus aussi précis. Bref là, ça marche sans marcher. On était très énervés sur le moment, mais on a fini par se mettre d'accord avec lui : « Au moins faisons quelque chose ensemble. »
De cette collaboration avortée, naît une série de 100 foulards en soie, designés par M/M (Paris) et Kanye, reprenant l’idée originelle de la pochette de My Beautiful Dark Twisted Fantasy.
Michaël : D'une certaine manière, on a fait son premier produit mode.
En 2012, Kanye West retourne au studio de M/M (Paris) pour discuter de son prochain album, Yeezus.
Michaël : Il vient pour s'excuser et pour qu'on reprenne la conversation.
Mathias : Pour Yeezus, on a compris qu'il était dans l'idée d'une dématérialisation. Autant pour notre première collaboration, il voulait être superfétatoire, autant là il voulait épurer et radicaliser. « Mon album... ne sera rien », nous avait-il dit. Très concrètement, lui et son équipe ont fait la tournée des studios de création, et ils aspirent l'information très vite. En général, les studios sont assez clos, ou visités par très peu de gens. On ne peut pas tout partager. Si on a pris une trentaine d'années à passer du maximalisme au minimalisme, pour eux, ça n'a même pas pris deux ans. Ils ont suivi une formation en accéléré de la création contemporaine en Europe. Ils ont eu la chance de rencontrer des gens brillants, et ils samplent. Ils sont allés voir Peter Saville : de faire un sac et écrire « sac » dessus, faire une chaussure et mettre « chaussure » dessus, ou « lacet » sur les lacets, ce sont des idées qu'avait mis en place Peter, héritées du situationnisme de Debord, passé à la sauce anglaise (ces idées ont été reprises par Virgil Abloh, alors DA de Kanye West, ndlr). Et donc, de fil en aiguille, quand on discute de Yeezus avec Kanye West, on lui parle de Mathieu Boogaerts et de cette pochette de disque qu'on avait faite en 1996 (Super, ndlr). « Peut-être que ta pochette de disque, si ce n’est rien, c’est ce rien là. Ce qui compte, c’est ton CD. ». On était arrivé à un accord. Et on s'est mis, pendant un certain temps, à dessiner un logo pour l'album. À la fin, bien-sûr, il ne reste plus rien. Mais on sait qu'il a fait pareil avec Peter, à qui il avait également demandé de faire une identité visuelle pour Yeezus. Kanye a l'intelligence de faire de l'appropriation. À l'échelle de son travail, ce sont des micros-boucles mises ensembles et reliées, avec plus ou moins de génie.
My Beautiful Dark Twisted Fantasy (Roc-A-Fella Records, 2010)
Yeezus (Def Jam Records, 2013).