LE MEILLEUR ENNEMI DU LUXE ?
Serait-ce la fin de l’insouciance pour le luxe ? Ses acteurs ne peuvent plus bouger le petit doigt sans que Philippe Vasset, rédac-chef d’un nouveau média d’investigation, Glitz, créé au sein du groupe Indigo Publications (La Lettre A, Intelligence Online…) ne braque sur eux son lorgnon. Interview sur mesure.
Dans le vocabulaire militaire, un Blitz est une « guerre-éclair ». Dans le vocabulaire médiatique, on peut désormais dire qu’un Glitz est une « lettre-éclat ». Ce média distribue toutes les semaines une lettre d’information sur l’industrie du luxe à ses quelque 1000 abonnés – « les premiers qu’on visait, c’étaient les directions comm’ des groupes de luxe explique Quentin Botbol, DG de Indigo Publications. Sinon, nos lecteurs sont des gens du show business, des médias américains, des consultants… mais des professionnels avant tout ». Et ce n’est que le début.
Créé à l’été 2022, le site web de Glitz fait paraître quelques papiers « au fil de l’eau ». En septembre 2022, la lettre d’info sélect’ est lancée (le prix d’un abonnement moyen pour une entreprise de 10 personnes est de 2600 euros par an). Nous rencontrons son rédacteur en chef, Philippe Vasset, dans les locaux d’Indigo Publications, campés au-dessus du Silencio (75002) pour une interview plus clivante que clinquante.
Glitz s’est officiellement lancé pendant la fashion week de septembre 2022. Pourquoi vous en prendre à l’industrie du luxe ? Philippe Vasset : Indigo Publications s'est toujours intéressé aux secteurs difficiles à couvrir : d'abord l'Afrique australe et les îles de l'océan Indien (dans les années 1980, c'était un endroit qui n'était pas couvert, alors que Bernard Tapie avait enregistré la moitié de ses sociétés aux Seychelles), avec Africa Intelligence, que j'ai dirigé pendant longtemps avant de m'occuper de Glitz. On s'intéresse aussi aux services de renseignement, avec Intelligence Online, puis les réseaux de pouvoir, avec la Lettre A. En plus de cela, le luxe n'est pas traité par la plupart des médias parce qu'ils achètent tout le monde. Dans n'importe quel magazine, vous avez des tunnels de pub de luxe, c'est un secteur sur lequel il n'y a que très peu d'enquêtes. Nous sommes pour notre part indépendants et libres. On fonctionne comme une épicerie ; les abonnements rentrent, les lettres sortent, et il n'y a pas de pub, pas d'actionnaire extérieur. Les trois critères pour qu’un secteur vous intéresse ?
Que ce soit hyper fermé, que personne ne se penche sur le sujet, parce qu'il n'y a que des coups à prendre. Que l'information soit rare. Et
qu'il s'agisse de secteurs internationaux. Cela fait vingt-cinq ans que vous travaillez pour Indigo Publications, sur le pétrole, la DGSE... Vous avez aussi collaboré avec Vanity Fair sous la direction de Hervé Gattegno (2013-2016, ndlr). Comment mène-t-on une investigation sur le luxe, monde bien connu pour être verrouillé et rempli de controlfreaks de la comm’ ?
Tous les secteurs ne sont pas habitués à la presse, et c'est le cas pour l'industrie du luxe. Ces personnes n'ont pas pour coutume d'être scrutées. Je constate alors que le simple fait de se pencher sur certains sujets, de poser certaines questions, est considéré comme un manque de savoir-vivre.
Il reçoit un appel. « C’est mon avocat ». Il discute au téléphone quelques minutes puis raccroche…
…C'est l'autre caractéristique du métier. Les procès ?
Beaucoup ! On en avait une vingtaine en cours sur toutes les publications ; on vient d'en gagner un. Les raisons de porter plaintes sont toujours plus inventives, dénigrement, diffamation, violation de la vie privée, manipulation de cours… Les gens du luxe sont procéduriers ?
Pas tant que ça. J'ai moins de procès avec Glitz que je n'en ai eu avec les autres publications, où ça attaque beaucoup. Le grand intérêt de Glitz est de fournir une newsletter avec des informations exclusives ?
Toutes les semaines, à sept heures du matin, les abonnés de Glitz reçoivent un email avec tous les articles du jour, mais on est assez loin du modèle d'origine de la newsletter. Lorsque j'ai intégré le groupe, en 1999, c'étaient de vraies newsletters : on les envoyait par la poste, on les pliait, c'était un papier un peu cra
quant, comme des billets de banque. L'information était vraiment privilégiée. Il n'y a plus ce côté niche aujourd'hui : la plupart des articles que nous publions sont repris dans les grands médias. À Glitz, je me retrouve en concurrence avec des médias généralistes, ce qui n'était pas le cas il y a vingt ans. Quelle a été votre toute première enquête avec Glitz ?
Nous avons été les premiers à révéler la volonté de LVMH d'implanter sa recherche à Polytechnique. Cette grande enquête, publiée tout début juillet 2022, a justement été reprise par Médiapart, Le Monde, etc.
Vous êtes un peu le Médiapart du luxe ?
Pas tant que ça non, on n'a pas de ligne éditoriale politique. On s'inspire de ce que font Women's Wear Daily ou Vogue Business. Le but est quand même de sortir des scoops, mais on crée nos propres angles, on ne s'interdit rien. Avez-vous découvert des aspects de l’industrie que vous ignoriez ?
J'ai réalisé l'importance du luxe dans tout ce qui touche à l'urbanisme, au secteur immobilier. Ils ont une influence déterminante dans la façon dont sont refaçonnés certains quartiers, et pas seulement à Paris : à Londres, à New York, en Italie plus encore. Dans l'art, aussi, évidemment. Sans oublier les instruments diplomatiques. Il y a une symbiose importante entre ces deux sphères. Par exemple, de grandes maisons du luxe donnent tous les ans des sommes importantes au Quai d'Orsay, qui gère la Villa Médicis à Rome, ou la Villa Albertine aux États-Unis. Avez-vous des marottes, des meilleurs ennemis ?
On a tendance à s'intéresser à tout le monde sans faire d'exception. Néanmoins, on a toujours davantage envie d'aller voir du côté de ceux qui sont le plus dans l'ombre. Mes sujets dada sont surtout ceux liés à l'immobilier, parce que ce sont des sommes considérables qui s'y jouent. Mais rien ne dit que demain il n'y aura pas un autre scoop, et alors je serai comme un dingue…
« J’AI MOINS DE PROCÈS AVEC GLITZ QUE JE N’EN AI EU AVEC LES AUTRES PUBLICATIONS… »